Réforme injuste ou guerre mondiale ? La Gauche doit être à la hauteur.

Jeudi, à l’appel de toutes les organisations de gauche et des syndicats, une grève accompagnée de ses traditionnelles manifestations a eu lieu dans le pays, et évidemment en Auvergne également, contre la réforme des retraites prévue par le gouvernement. Même si, comme à chaque fois, les chiffres des manifestants et ceux du ministère de l’intérieur divergent, tout le monde en conviendra : il y avait du monde. C’est que, de fait, les Français sont quand même globalement opposés à cette réforme, qui reporte l’âge de départ à la retraite.

Sur le papier, les choses sont simples : un gouvernement de droite décide d’une réforme injuste dont les français ne veulent pas, la gauche appelle à se mobiliser contre (tandis que la droite « classique » soutient et l’extrême-droite « refuse de bloquer »), défendant au minimum le statu quo, au mieux un retour à avant Balladur, c’est-à-dire à la retraite à 60 ans avec 37,5 années d’annuité.
C’est globalement ainsi qu’on nous vend la chose. Pourtant, la situation est bien plus inquiétante et il est aisé que la gauche n’est pas à la hauteur. Grisée par le relatif succès de la mobilisation d’hier, il est à parier qu’elle s’enfoncera un peu plus dans son récit autour de la « bataille des retraites » et qu’elle ratera, comme c’est son habitude depuis des années, le train de l’Histoire.

L’Histoire, justement, avance à grand pas en direction de la guerre, où plutôt est déjà l’Histoire de la guerre depuis notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais on doit également songer à la situation terrible de l’Arménie, à la guerre au Yémen et tant d’autres conflits. La crise du capitalisme, accélérée par la pandémie de covid-19, pousse les grandes puissances à s’affronter pour le repartage du monde. Les Etats-Unis proclament ouvertement que la Chine est l’ennemi principal des décennies à venir, et celle-ci montre clairement que l’Occident est également le sien. Chaque Etat capitaliste se raidit, se tourne vers le repli national, le militarisme et la restructuration pour se préparer à l’affrontement avec ses concurrents. La Grèce, au budget militaire colossal par rapport à sa taille, se prépare à affronter avec l’aide de la France une Turquie islamo-fasciste qui manœuvre habilement entre une attitude pro-Russe et son traditionnel alignement sur les Etats-Unis.

En France, la bourgeoisie moderniste autour d’Emmanuel Macron fait tout pour restructurer la société dans le sens d’un capitalisme fort et prêt à s’élancer dans la guerre. Le service militaire est progressivement réintroduit pour formater les jeunes et l’économie est restructurée à marche forcée pour préparer la France : le gouvernement annonce un plan de « résilience » pour subventionner les entreprises, investit dans les semi-conducteurs, remet en avant le nucléaire, renationalise EDF, le Sénat pond des plans pour « reconstruire la souveraineté économique », les dirigeants de Total, Engie et EDF appellent l’Etat à restructurer l’économie, on s’apprête à exploiter le lithium bourbonnais, etc. L’Etat converge avec les intérêts des grands groupes capitalistes tricolores et tout ceci relève de la lutte des classes : la bourgeoisie fait payer la crise de son mode de production aux travailleurs et aux masses populaires. Ce qui s’annonce, c’est la brutalité capitaliste à tous les niveaux : dans l’entreprise, avec des salaires et des protections réduites, dans les services publics et la culture qui s’effondrent, et maintenant avec des retraites attaquées.

Le capitalisme tricolore veut se lancer à l’assaut du monde, ce qui implique qu’il se déploie totalement chez lui d’abord. Dès l’année dernière, avec « France 2030 », Emmanuel Macron annonçait la couleur, annonçant l’investissement d’un milliard d’euros dans le nucléaire, l’objectif de devenir le leader mondial de l’hydrogène vert, d’investir massivement dans l’exploitation des fonds marins, dans les véhicules hybrides, etc. Evidemment, ce déploiement agressif du capitalisme français se fait dans le cadre de l’Union européenne et sous la tutelle du grand-frère étasunien. En effet, la France n’est plus une grande puissance capable de tenir tête à ses concurrents. Elle est, de fait, une puissance moyenne et, dans la guerre mondiale pour le repartage du monde qui s’annonce entre les deux grands géants (auxquels on peut ajouter la Russie, cible principale de l’Occident depuis son invasion de l’Ukraine), le capitalisme français espère avoir une part du gâteau ou, à tout le moins, des miettes importantes.

C’est le sens du soutien total au régime ukrainien qui, aujourd’hui, n’est plus dans une simple logique de libération de son territoire mais, à grand renfort de propagande ultranationaliste (réhabilitant par anti-russisme la collaboration avec l’Allemagne nazie et les pogromistes tels que Stepan Bandera), se fait le bras armé de l’Occident pour attaquer la Russie concurrente et la réduire à une Moscovie sous tutelle, quel que soit le prix humain d’une telle entreprise. Les envois d’armement depuis l’Occident se multiplient et l’affrontement ouvert et total avec la Russie se fait toujours plus pressant.

Evidemment, avec ces envois militaires, c’est aussi le capital occidental qui prend pied dans une Ukraine ultra-corrompue, dont l’économie portée par des oligarques qui valent en pourriture ceux de Russie, s’inféode toujours plus aux Etats-Unis et à l’Union européenne. Ainsi, au forum économique de Davos, le chef du groupe étasunien BlackRock (qui gère 7,8 billions de dollars), déjà mandaté par le président Zelensky pour organiser la pénétration du capital occidental en Ukraine, a annoncé que ce pays allait devenir « un phare pour le reste du monde de la puissance du capitalisme ». Dans le même esprit, quelques mois plus tôt, le président-évadé fiscal Zelensky, qui a depuis supprimé le droit du travail dans son pays pour plaire aux oligarques qui l’ont placé au pouvoir, avant rencontré le MEDEF et le patronat français pour discuter des modalités de pénétration du capital tricolore dans l’économie ukrainienne.

Bref, nous sommes face à un vaste mouvement de réimpulsion agressive du capitalisme français et du capitalisme occidental en général, dans le sens de l’écrasement des masses et de la guerre mondiale.

Et, face à cela, qu’avons-nous ? Une mobilisation simplement syndicale (les partis de gauche, selon leur tradition anti-politique bien française, se contentant de suivre les syndicats), focalisé sur les retraites, et rien que les retraites, à grand renfort de pétition de la post-gauche bourgeoise (autour d’Annie Ernaux dans Politis, par exemple), d’appels populistes et chauvins à la « rébellion du peuple français », au déferlement de millions de gens… Tout cela paraît bien creux et surtout incapable de porter une opposition de classe à la guerre et au grand capital.

On nous dira qu’il faut commencer par lutter contre la réforme des retraites et qu’on verra le reste après… Mais que peut-on attendre d’une NUPES faites de populistes anti-gauche (LFI), d’atlantistes bellicistes forcenés (PS et EELV) et des para-syndicalistes du PCF (dont on peut noter que certains membres se sont clairement prononcés contre la guerre et où demeure, de manière brouillonne, un reste de pacifisme internationaliste ouvrier, malheureusement bien faiblement exprimé). Pour tous ces gens, la guerre n’est simplement pas un sujet, ou alors ponctuellement et à petite dose. Aucune analyse d’ampleur sur ce qui structure pourtant le monde dans lequel nous vivons.

Il serait temps, à moins de vouloir plonger dans la barbarie, d’abandonner le rêve de faire un peu de social dans le cadre capitaliste, et d’être à la hauteur des exigences de notre époque et des principes historiques de la Gauche et du mouvement ouvrier : lutte des classes, organisation de travailleurs, internationalisme, pacifisme !