Luxfer : la Gauche doit assumer la lutte des classes
Ce matin, à l’appel des syndicats et des partis de Gauche, un rassemblement avait lieu à Gerzat en soutien aux salariés de l’entreprise Luxfer qui luttent depuis plus d’un an et demi pour sauver leur emploi et leur usine.
En effet, cette entreprise qui produisait 220 000 bouteilles par an, dont la moitié pour l’oxygène médical (40% pour les pompiers, 10% pour l’industrie), avait appris sa fermeture le 26 novembre 2018, suite à la décision prise par le groupe britannique qui la possédait. Cent trente-six salariés se retrouvaient alors sur le carreau, après avoir vécu un management odieux. Notons que c’était alors la seule entreprise européenne à assurer une telle production.
Les salariés se sont mobilisés et luttent depuis pour le maintien de l’activité de l’usine. Quoi de plus normal ? Il s’agit ici de lutte des classes, avec d’un côté un grand groupe capitaliste cherchant à détruire une usine tout à fait rentable, et de l’autre des ouvriers qui se retrouvent du jour au lendemain privés de leur outil de travail, sans emploi, plongés dans la misère, et bien décidés à ne pas se laisser démolir.
Leur revendication est simple : la nationalisation de l’usine, sa reprise par une autre entreprise, ou carrément sa réquisition par l’Etat. Les bouteilles d’oxygène produites par ces ouvriers servent aux hôpitaux et aux pompiers, ce qui en période de crise sanitaire relève de l’utilité publique. Ils ont par conséquent parfaitement raison de penser qu’il est grave de supprimer un tel outil unique en Europe.
Christine Pirès-Beaune, députée socialiste du Puy-de-Dôme, rappelle à juste titre que l’oxygène n’ayant pas été manquant durant la crise du COVID-19, jamais cette ressource pourtant essentielle n’a été considérée comme de grande importance. Il est vrai que le capitalisme, de par son absence de vision à long terme, ne peut pas valoriser aujourd’hui ce qui pourrait être absolument nécessaire demain. Ce qui compte, c’est avant tout la recherche de profit. Elle déplore donc le fait qu’avec la fermeture de cette usine unique dans le pays, en cas de nouvelle crise sanitaire majeure, la France doive par conséquent se soumettre au bon vouloir des entreprises capitalistes et des pays producteurs de bouteilles d’oxygène pour son approvisionnement. L’usine Luxfer et ses 136 ex-salariés deviennent donc un point stratégique central dans la lutte des classes, et dans la lutte contre la liquidation de tout le secteur hospitalier, dans la lutte contre un monopole qui choisi de se renforcer en jouant avec la vie de millions d’individus en générant volontairement une pénurie d’oxygène médical.
Luxfer a donc refusé de rembourser les frais de formation, tout en s’assurant de mettre en échec tout plan de sauvegarde de l’usine proposé par les salariés. Dans une France des travailleurs unis, organisés, cette affaire bénéficierait d’un écho et d’un soutien populaires à l’échelle nationale… Mais, malheureusement, difficile d’imaginer une fin positive pour les employés de Luxfer dans cet épisode de la lutte des classes… à moins que la Gauche historique ne se reconstruise rapidement, ferme sur ses valeurs et unie ! Dans le cas d’une défaite, ce ne sera que partie remise, car tout va s’accélérer avec la chute en cours du capitalisme. La lutte des classes ne disparaît pas pour autant, car tant qu’il y aura des classes, il y aura une lutte.
Cependant, les plus gros empêcheurs de lutter en rond se trouvent exactement là où la Gauche historique les attend : chez les populistes chauvins. En première ligne, Jean-Luc Mélenchon parle donc « souveraineté nationale » et « indépendance », alors que d’autres n’hésitent pas à évoquer directement le profit à réaliser en vendant cette production. Pour ces populistes, Luxfer est un atout pour la force de la nation, pour « l’économie nationale », un outil qui permet de peser internationalement. C’est le sens de la démarche de la France insoumise depuis 2017, qui rêve d’une France puissante, avec une sorte d’impérialisme plus social.
Si, évidemment, nombre de sympathisants de la France insoumise soutiennent le mouvement pour soutenir d’abord les salariés, il est évident que ce discours chauvin est dangereux. D’autant plus la nationalisation n’est pas un gage automatique de progrès social, prise toute seule. Si défendre la nationalisation est ici une bonne chose, le faire en tenant un discours souverainiste, c’est apporter de l’eau au moulin de la démagogie sociale du Rassemblement national.
C’est d’ailleurs un discours qu’on retrouve ailleurs qu’à la France insoumise, évidemment, le thème de l’indépendance étant assez transversal. Toutefois, il est naturel que ce soit plus marqué dans cette organisation qui ne perd pas une occasion de célébrer « l’économie nationale » et, au fond, la relance du capitalisme français.
Le discours de Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail, est assez classique de ce syndicat. Il appelle, lui, à résorber le chômage par la réindustrialisation massive du pays. Enjoignant le gouvernement à entendre ce discours, il entend démontrer que la CGT est capable de relancer l’économie du pays. C’est que la CGT, en perte de vitesse ces dernières années, aimerait revenir à l’époque où elle était un véritable « partenaire social » de l’Etat, participant à la cogestion du capitalisme national. Il faut également refuser cet esprit de cogestion et affirmer la question du pouvoir, la question politique, ainsi que la nécessité pour la classe ouvrière de s’organiser par elle-même, de manière autonome.
André Chassaigne et le PCF, mais aussi les élus socialistes ou militants de Génération-s insistent également sur le contexte sanitaire et pointent le risque de la difficulté d’approvisionnement en bouteilles d’oxygène, indispensables pour les patients en urgence respiratoire. Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, en effet, comment ne pas voir qu’il y a besoin de planifier la production, d’anticiper les besoins de la population ?
Le combat des travailleurs de Luxfer qui luttent depuis des mois peut être un socle solide pour la renaissance de la Gauche et la réaffirmation de la lutte des classes dans notre pays, alors que le capitalisme en crise prépare un retour de bâton qui s’annonce violent. La Gauche ne peut faire l’impasse et si elle a montré aujourd’hui qu’elle peut, au moins sur ce sujet, se rassembler un tant soit peu, elle doit passer au cran supérieur.
La lutte des classes annonce son grand retour, mais les travailleurs sont encore trop désorientés, désorganisés et l’extrême-droite comme les post-modernes font tout pour les détourner de cette question centrale. Il est plus que jamais le moment d’écarter le populisme, la pseudo-gauche libérale des individus et de leurs « droits », et d’éviter le piège d’un syndicalisme très institutionnel et d’esprit cogestionnaire. Il faut réaffirmer l’objectif historique de la Gauche : la prise du pouvoir par les masses populaires et le dépassement du mode de production capitaliste. Le Capital ne nous fera pas de cadeau et tout ce qui nous détourne de l’affrontement face à lui nous jette dans ses bras.