Les parlementaires auvergnats et les pleins pouvoirs à Pétain

En ce 8 mai – dont il est bon de rappeler que c’est la Gauche au pouvoir qui en a fait un jour férié – commémorant la fin de la terrible Seconde guerre mondiale, et la victoire sur l’horreur nazie, il nous est apparu nécessaire de revenir sur un événement national qui a bien évidemment touché l’Auvergne : le vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain.

Sur les trente parlementaires auvergnats (députés et sénateurs confondus), quatre seulement s’y sont opposés, contre vingt-six qui ont déshonoré notre région. Le profil des votants, d’un camp comme de l’autre, est toutefois très révélateur, notamment en ce qui concerne la Gauche, mais également en ce qui concerne la Libération que nous célébrons aujourd’hui.

La Gauche historique sauve l’honneur !

Parmi les opposants aux pleins pouvoirs, on compte Eugène Jardon, Marx Dormoy, Isidore Thivrier et Maurice Montel. On retrouve ici les glorieux noms de la Gauche ouvrière bourbonnaise : Dormoy, fils de Jean et Thivrier, fils de Christou, tous deux membres de la SFIO et respectivement maires de Commentry et Montluçon. Marx Dormoy avait également été ministre de l’Intérieur du Front populaire, où il s’était montré particulièrement agressif envers les organisations d’extrême-droite, et notamment la Cagoule, démantelée en 1937. Il n’avait pu aller jusqu’au bout, et s’en prendre à l’Oréal, qui finançait le terrorisme fasciste, et qui demeure une société importante aujourd’hui encore, et notamment en Auvergne (Creuzier-le-Vieux). Il s’était distingué en apostrophant un député breton antisémite – qui criait, lui, « A bas les Juifs », à l’Assemblée nationale – en ces termes : « Bande de salauds. Et d’abord un Juif vaut bien un Breton!« 

Marx Dormoy et Isidore Thivrier payèrent cher leur opposition au pétainisme et à la collaboration : le premier fut assassiné par des anciens de la Cagoule, tandis que le second mourut au camp de concentration de Natzweiler-Struthof, toujours convaincu que « le socialisme est l’avenir du monde du travail ».

Eugène Jardon, était maire de Domérat, autre commune marquante dans l’histoire de la Gauche en Auvergne. Il était, lui, membre du Parti communiste, qu’il quitta néanmoins en 1939. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de participer au vote, le PCF ayant été illégalisé. Durant la guerre, surveillé par les autorités, il parviendra néanmoins à apporter son soutien alimentaire à la Résistance. Il est à noter que sa formation idéologique devait beaucoup à Montusès, c’est-à-dire que, contrairement aux Dormoy et Thivrier, il avait choisi le camp de la Troisième internationale. Il fut d’ailleurs, localement, un adversaire de Marx Dormoy. C’est là très intéressant : on voit bien que si le mouvement ouvrier s’est séparé entre réformistes et révolutionnaires, ils ont su se retrouver dans le cadre de l’antifascisme.

Maurice Montel, lui, n’était pas issu de la Gauche ouvrière. Membre du parti chrétien de gauche de la Jeune république, il était membre du groupe parlementaire de la « Gauche indépendante » qui regroupait en son sein des néo-socialistes, dont ceux du Parti social-national qui, invoquant l’ordre, la « rénovation française » « ni vers la droite, ni vers la gauche », se présentait comme « seul organisme intégralement antijuif ». La Jeune république accompagnera toutefois le Front populaire et, après guerre, resta liée à la Gauche. C’est d’ailleurs le seul parti à avoir voté unanimement contre les pleins pouvoirs au maréchal. Maurice Montel fut le dernier survivants des députés anti-Pétain, et mourut en 1996.

Les collabos de « gauche »

C’est un fait, plusieurs élus issus de la Gauche votèrent les pleins pouvoirs à Pétain. Parmi eux, pas moins de neuf parlementaires issus de la SFIO : René Boudet, Camille Planche, Paul Rives, Ernest Laroche, Aimé Coulaudon, Maurice Thiolas, Albert Paulin, Antoine Villedieu et Henry Andraud. Pour le reste, on compte sept radicaux : Jean Beaumont, Lucien Lamoureux, Albert Peyronnet, Laurent Eynac, Louis Dauzier, Émile Massé et Albert Buisson ; et neuf hommes politiques issus de la droite conservatrice : Stanislas de Castellane, Fernand Talandier, Joseph Antier, Paul Antier, Augustin Michel, Édouard Néron, Eugène-Gaston Pébellier, Jacques Bardoux et Raymond Lachal.

Il faut évidemment ajouter Pierre Laval, également élu en Auvergne.

S’il n’est pas surprenant de voir des réactionnaires soutenir un régime autoritaire, cela n’est pas censé aller de soi pour les radicaux, supposément les plus « républicains » de tous, et encore moins de la part des socialistes ! Pourtant, il n’y a rien là d’étonnant. Les radicaux, pilier de la IIIe république, s’ils avaient participé au Front populaire, s’étaient depuis détournés de la Gauche et étaient animés d’un profond anticommunisme, allant jusqu’à faire interdire le Parti communiste. Le prétexte était le soutien du PC au pacte de non-agression signé par l’Union soviétique pour se protéger. Il s’agit bien là d’un prétexte, puisque les radicaux avaient refusé les offres soviétiques d’alliance contre l’Allemagne, et espéraient comme la plupart des politiciens français et anglais qu’Hitler se lancerait d’abord contre l’URSS. Le gouvernement d’Edouard Daladier n’avait pas hésité à trahir et livrer la Tchécoslovaquie aux nazis.

Du côté des socialistes, on note plusieurs élus issus de la droite du socialisme réformiste français : Henry Andraud, passé par le Parti socialiste de France, Albert Paulin, Ernest Laroche, Antoine Villedieu, tous les trois œuvrant à La Montagne, le journal d’Alexandre Varenne (lui aussi issu de la droite du socialisme), Camille Planche, issu du Parti républicain socialiste, Paul Rives, proche des idées de Marcel Déat, Maurice Thiolas, qui flattait l’électorat radical, Aimé Coulaudon, avocat fils du président de la Chambre de commerce de Clermont-Ferrand, ou René Boudet qui mena une politique municipale favorable aux ouvriers mais qui était membre du Grand Orient de France, organisation à l’esprit bien plus proche des radicaux que du mouvement ouvrier.

On le voit, les élus socialistes ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain étaient, en fait, des « républicains de gauche » ou des néo-socialistes, favorables à la participation gouvernementale, à l’ancrage profond dans les institutions. C’est-à-dire qu’ils étaient, au mieux, des espèces de radicaux favorables aux ouvriers, ou des planistes prônant l’union nationale et la défense du capitalisme national, ceux-là même dont Léon Blum disait qu’ils l’épouvantaient.

Parmi ceux-ci, plusieurs se sont fait oublier, ne se manifestant pas particulièrement pendant la guerre, et cessant la politique après celle-ci. C’est le cas d’Albert Paulin, Antoine Villedieu, Henry Andraud ou Maurice Thiolas. Certains passèrent finalement dans la Résistance, comme Aimé Coulaudon, qui rejoignit le mouvement Combat (et dont le frère cadet, Emile, fut le chef militaire des FFI d’Auvergne, en 1944), René Boudet dont on reconnut une aide apportée à la Résistance (ce qui lui permis de reprendre la politique). En revanche, certains se lancèrent ouvertement dans la collaboration, voire le collaborationnisme.

Ernest Laroche, s’il fit quelques gestes en faveur de la résistance, fut considéré à la Libération comme « acquis à l’orientation politique de vichy sans avoir fait de propagande active pour ce régime ». Il était l’ami de Pierre Laval. Camille Planche adhéra à la Ligue de pensée française, organisme prônant la collaboration avec l’Allemagne pour préserver les institutions républicaines (on croit rêver). Quant à Paul Rives, il adhéra au Rassemblement National Populaire de Marcel Déat (dont le Rassemblement National de Marine Le Pen semble aujourd’hui avoir hérité de l’emblème), principal parti collaborationniste avec le PPF de Doriot. Après guerre, Planche et Rives tentèrent de se relancer à travers le Parti socialiste démocratique, regroupant les collabos exclus de la SFIO. Si Planche adhéra ensuite au Rassemblement des gauches républicaines (groupe de centre-droit opportuniste et atlantiste), Rives fut membre du Mouvement social européen, organisation néo-fasciste et négationniste (dont certains membres finiront au Front national ou au Parti des forces nouvelles).

Une épuration plutôt libérale

Ce qui frappe, c’est également la grande magnanimité dont certains collaborateurs ont pu jouir à la Libération. En effet, quelques figures ont pu reprendre une activité politique normale, comme si rien ne s’était passé.

Parmi eux, on peut citer Jacques Bardoux, élu de droite, et grand-père de Valéry Giscard d’Estaing, dont il aida les débuts. Cet anticommuniste viscéral, aux tendances complotistes marquées, ne se contenta pas de voter pour les pleins pouvoirs de Pétain. Il fut également membre du Conseil national instauré par Vichy. Après guerre, il put continuer sa carrière politique, et ce jusqu’en 1956.

Raymond Lachal, décoré de la francisque, qui fut directeur général de la Légion française des combattants dont il souhaitait faire le parti unique du pétainisme, et qui fut parmi les plus pro-Allemagne, fut tranquillement acquitté en 1949.

Eugène Pébellier, maire du Puy-en-Velay, qui y accueillit le maréchal Pétain triomphalement en 1941, fit élire son père et son frère, pour continuer d’exercer indirectement ses mandats, avant d’être amnistié en 1953.