Face à la droite vichyssoise : fascisme et centre-gauche

A Vichy, et ce n’est une surprise pour personne, le maire sortant, Frédéric Aguilera (LR soutenu par LREM dont certains membres font partie de sa liste) part en grand favori, n’ayant pas grand chose à craindre de ses adversaires. Ceux-ci ont d’ailleurs tardé à se présenter. Alors qu’il était le seul candidat annoncé, M. Aguilera affirmait sa sérénité et son souci du « pluralisme » :

« Je suis convaincu qu’il y aura une liste à gauche, et une autre du Rassemblement national. Aujourd’hui, la gauche se cherche encore, il y a un trou d’air dans les trois principales villes de l’agglo, c’est regrettable, mais ça va se décanter. La démocratie ne fonctionne que s’il existe une alternative crédible. Le pluralisme existera. »

La Montagne

A l’heure où beaucoup d’élus de droite, soutenus ou non par le parti présidentiel, jouent la carte de « l’ouverture », du « sans étiquette », du « rassemblement », de la « société civile » pour s’offrir une seconde jeunesse électorale, M. Aguilera n’en éprouve pas le besoin et, s’il se veut ouvert à des individus venus de la Gauche, n’en affirme pas moins son étiquette LR et son appartenance à la droite.

« Personnellement, je suis et reste aux LR, je suis fier de mon étiquette politique. Je soutiendrai Laurent Wauquiez lors des prochaines élections régionales, et je continuerai d’œuvrer pour reconstruire la droite dans ce pays. Et tous ceux qui rejoindront mon équipe doivent avoir conscience de ça. Ce sera plutôt une liste multi-étiquette que sans étiquette. Certaines personnes auront un engagement personnel à droite, mais pas obligatoirement. Ma seule barrière idéologique, ce sont les extrêmes : la France insoumise et le Rassemblement national. »

La Montagne

Il sait à qui il s’adresse : la bourgeoisie traditionnelle, bien installée, conservatrice, qui a besoin de calme, d’ordre. Le rejet des « extrêmes », des populistes n’a ici rien d’antifasciste (malgré la volonté affichée du maire de lutter contre l’appellation « régime de Vichy » pour la période de l’Etat français) ou même de « républicain » (encore qu’il faille définir ce terme). C’est surtout une opposition aux « agités » qui troublent l’ordre établi. La bourgeoisie vichyssoise n’est pas foncièrement opposée au conservatisme du RN, ni même au fumet raciste qu’il dégage. De même, le chauvinisme d’un Mélenchon n’est pas de nature à lui poser problème, tout comme son « keynésianisme conséquent », finalement peu effrayant. Ce dont elle a peur, c’est le trouble, l’agitation, la perturbation de son petit confort.

Toutefois, les scores du Front national n’ont jamais été anecdotiques à Vichy et Jean-Pierre Sigaud, délégué départemental du parti d’extrême-droite, entend en représenter les couleurs (ou plutôt celles du « RN »), malgré les affaires judiciaires qui ont entaché l’image locale de son parti. Une partie de la bourgeoisie conservatrice peut être tentée par « l’aventure » nationaliste, mais c’est également aux gilets jaunes que M. Sigaud entend tendre la main, avec le thème du « RIC » à la logique populiste et pseudo-démocratique. Il est vrai qu’il y a eu plusieurs manifestations « jaunes » à Vichy, depuis le début de ce mouvement hétéroclite. Nul doute que, parmi ceux qui chantaient la Marseillaise fièrement en s’appuyant sur la défense d’un article de la constitution de la Vème République pour défendre la démocratie, pourront s’y retrouver. Le grand écart entre les gilets jaunes et la bourgeoisie vichyssoise peut paraître difficile mais il correspond parfaitement à la logique boulangiste et fascisante du RN (dont le nom et le logotype ne sont pas les seuls rappels de son histoire fasciste…) : allier réaction et populisme, « peuple » et bourgeoisie nationaliste.

Face à ces deux candidatures peu réjouissantes, la Gauche a longtemps semblé absente mais, finalement, une liste s’est lancée : « Vichy C’est vous », menée par Isabelle Rechard (secrétaire générale du Mouvement radical social et libéral), avec le soutien d’EELV, et la présence du PS et du PCF. Revendiquant l’objectif d’une « ville écologique et humaniste », le manifeste de cette liste met l’accent sur la défense des services publics et l’accès de tous à la santé et plus généralement à une vie digne, ainsi que sur la dimension écologique de son programme, supposé répondre aux « impératifs de lutte contre les dérèglements climatiques et environnementaux ».

Cette liste apparaît pourtant comme d’une grande faiblesse dans le combat contre la droite. Lancée très tard, aucun parti ne se sentant capable jusqu’alors de se mesurer à la droite, elle apparaît comme étant de centre-gauche et l’on voit mal en quoi elle pourrait représenter les masses vichyssoises qui, rappelons-le, existent également (les « professions intermédiaires », les employés et les ouvriers rassemblent environ 35% de la population de la ville). On paye ici l’extrême faiblesse de la Gauche à Vichy (et, malheureusement, dans l’Allier de plus en plus). La Montagne relevait récemment que la Gauche vichyssoise avait perdu son « leader charismatique », le PRG Gérard Charasse, retiré de la politique en 2017. Le problème n’est pas qu’il ait pris sa retraite… mais bien que la Gauche ait été représentée par le PRG ! On notera d’ailleurs qu’aux dernières législatives, dans la circonscription de Vichy, la Gauche divisée avait déjà été en partie représentée par Jacques de Chabannes, maire PRG de Lapalisse, prenant la suite de Gérard Charasse. Le soutien de ce dernier est d’ailleurs revendiqué par la liste. D’ailleurs, ces « radicaux de gauche » sont tous aujourd’hui membres du MRSL, issu de la fusion avec les radicaux « de droite » (ou « valoisiens »), et largement macrono-compatible.

Cette liste reflète, par son retard, la faiblesse générale de la Gauche ; par son orientation « centriste de gauche », la faiblesse de la Gauche historique à Vichy ; par sa composition, la soumission de la Gauche au « centrisme écolo » d’EELV. En effet, si la liste est portée par une tête de liste PRG et est présentée dans la presse comme PRG-EELV, en raison du rôle important d’EELV dans sa formation, on notera la présence de Mahmoud Farwati, PS, et de Zinedine Hireche, du PCF. En comparaison, il y a cinq EELV et si Isabelle Rechard est la seule « radicale », elle est quand même tête de liste. Les deux partis issus de la Gauche historique apparaissent ici comme réduits à faire de la figuration, derrière un parti qui zigzague régulièrement vers le centre-droit, et un autre qui ne rate jamais une occasion de mettre en avant une écologie bobo comme « dépassant le clivage gauche-droite ». Quelle cohérence y a-t-il ici ? Aucune. La Gauche baisse pavillon devant l’opportunisme centriste. C’est dramatique.

La défaite de la Gauche à Vichy est annoncée et se prolongera si une Gauche fidèle à ses valeurs historiques ne se reconstruit pas rapidement, en osant bousculer la droite et la bourgeoisie, en osant proposer autre chose qu’une gestion teintée de vert, en osant affirmer la nécessité d’une nouvelle société. A Vichy… et dans le monde.

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