Faux bourbonnais et faux progressistes
Depuis quelques jours, l’Espagne est en émoi, et avec elle d’autres pays d’Europe : Juan Carlos est en fuite.
Ce n’est pas de l’Espagne dont nous voulons parler mais de la France et des réactions que cet événement suscite ou peut susciter chez nous.
La raison même de cet article sur Auvergne à Gauche, pourtant bien éloigné des terres ibériques, c’est le patronyme du souverain. C’est un « Bourbon » (« Borbon », en espagnol). Oui, le même que dans « Bourbon-l’Archambault », petite ville de l’Allier liée au PCF. Ce « Bourbon », qui partage son radical celtique avec La Bourboule : Borvo, divinité thermale.
Il y a de quoi tiquer. Non pas parce qu’il ne faudrait pas que des noms bien de chez nous se retrouvent à l’étranger. Au contraire : vivent les mélanges ! Nous sommes bien ravis d’entendre des patronymes outre-pyrénéens autour de nos vieux volcans.
Le souci, c’est que c’est un « DE Bourbon ». Beaucoup de gens portent des noms qui renvoient aux origines géographiques de leur aïeux, mais celui-ci renvoie au fief de leurs aïeux. Que ces familles, dont la domination est le produit du féodalisme, règnent encore ou prétendent le faire, c’est tout bonnement absurde et révoltant. Que savent ces gens-là du fief dont ils arborent le nom ? Strictement rien, de par leur nature parasitaire et anachronique. Qu’ils soient d’Espagne ou d’ailleurs, les « de Bourbon » n’ont pas le moindre lien avec l’Allier et sa population.
Que des descendants de nobles portent comme nom le titre de leurs ancêtres, ce n’est pas un problème majeur. Après tout, il n’est pas nécessaire de nier le passé pour le dépasser. En revanche, Juan Carlos appartenant à une famille encore régnante, ancien souverain lui-même, il valide l’idée que le Bourbonnais serait encore un fief, même symboliquement. Il en va de même pour les divers prétendants au trône de France, qui se distribuent entre eux les titres de noblesse, s’octroyant la possession symbolique de villes de France. D’ailleurs, le « duc » de Bourbon actuel, est Louis, ultra-réactionnaire, petit-fils de Franco et prétendant au trône de France sous le titre de « Louis XX ». On croît rêver.
Le caractère réactionnaire et parasitaire de ces anciens nobles et bien connue et Juan Carlos n’échappe pas à la règle. Outre ses magouilles financières, il s’était illustré comme un chasseur particulièrement odieux et l’on sait à quel point la chasse, notamment à courre, est une tradition forte portée par ces couches. Les anciens nobliaux ne sont pas rares, dans les cohortes barbares des veneurs. Minable reliquat d’un passé qui ne reviendra plus, ils participent de toutes leurs forces à maintenir nos pays dans la réaction, l’arriération culturelle. Les écraser est une tâche démocratique incontournable que la Gauche doit mener.
Vu de France, il y a une relative difficulté à saisir la portée de cet événement. Cet homme est un ancien chef de l’Etat, et en même temps le père de son successeur. On a beau savoir ce qu’est une monarchie, c’est vrai que c’est curieux. Vue de France, cette situation semble un peu folklorique, finalement. D’autant qu’il s’agit d’un roi « retraité », pour ainsi dire, ce qui semble encore plus incongru puisqu’ils ne quittent généralement leur trône qu’au jour du trépas.
De ce fait, beaucoup de Français ont raillé et attaqué le triste héros de cette farce contemporaine. Certains font mine de s’étonner, croyant encore au mythe de Juan Carlos comme représentant de la « transition démocratique » (montrant par là qu’il ne savent rien de l’Espagne). D’autres on fait le parallèle avec nos propres anciens chefs de l’Etat, eux aussi poursuivis par la justice. Et de citer Chirac et ses emplois fictifs, Sarkozy et ses innombrables casseroles… D’autres ont très justement emboîté le pas aux républicains d’Espagne en poussant la dénonciation de la corruption jusqu’à celle de cette monarchie parasitaire.
Et ils y a les « républicains » chauvins comme les insoumis. Mélenchon évoque le « Bourbon » en fuite, faisant un parallèle avec Louis XVI. Tel autre parle même de « Louis Charles Capet » pour désigner l’ancien souverain espagnol. Ces gens-là montrent que le fond de leur républicanisme, c’est le nationalisme, et que le fond de leur critique du parasitisme monarchique, c’est le populisme. Se croient-ils en 1789 ? Se figurent-ils que l’histoire du monde doit se lire par le prisme de la révolution française ? Toujours est-il qu’ils offrent une pauvre parodie des républicains d’antan, dans une démarche devenue tout aussi anachronique que la monarchie espagnole.
Pour eux, la France de 1789 est le modèle absolu qu’il faut expatrier partout, même s’il est absurde de vouloir d’un tel modèle dans la société actuelle, qui est capitaliste et qui a justement été fondée par cette révolution. La solution à la monarchie parasitaire en Espagne ? Le républicanisme façon bleu-blanc-rouge. Pour les insoumis, les sociétés actuelles se résument en une opposition entre le « peuple », compris comme rassemblement au-dessus des classes, et une « oligarchie » parasitaire, anti-patriotique. C’est le discours boulangiste, voire fasciste, par excellence. Exit la lutte des classes et le combat contre la bourgeoisie. Voici qu’il faudrait régénérer les nations en écartant les parasites extérieurs à la nation (les propos récents de Mélenchon sur les investissements à l’assemblée en témoignent) et en rassemblant les classes. C’est une ligne profondément réactionnaire.
Ainsi, à travers la fuite de Juan Carlos et les réactions qu’elle a suscitée en France, deux conclusions peuvent être tirées : il faut éjecter la monarchie parasitaire… ET affronter la bourgeoisie en réaffirmant la nécessité du combat de classe, en Espagne comme en France. La monarchie espagnole révèle le caractère parasitaire de toute monarchie en Europe et ailleurs. Parallèlement, elle révèle indirectement combien la ligne populiste est à côté de la plaque, alors que le capitalisme, dans une crise sans précédent, s’apprête à livrer une bataille violente contre les masses de ce pays. L’heure n’est pas à la régénération national-populiste, mais à la lutte des classes, au socialisme.
En Espagne comme en France, en Aragon comme en Bourbonnais, une crise violente est en train de s’abattre sur nous et la seule question qui importe est de savoir qui va la payer. Déjà, les capitalistes s’apprêtent à écraser les masses un peu plus, et de manière violente. Ici comme là-bas, l’objectif de la Gauche est le même : faire payer cette crise à la bourgeoisie, relancer le combat de classe. L’heure n’est pas à l’union nationale mais à l’union populaire. Il faut écraser la réaction et affronter la bourgeoisie.