Chassaigne et Giscard : une amitié contre-nature

On se souvient du vibrant hommage d’André Chassaigne à Jacques Chirac, lorsque celui-ci était décédé. Nous avions déjà eu l’occasion d’en pointer la grande faiblesse politique. Voici que notre grand Dédé remet ça, cette fois avec Giscard (qui n’est pas mort, en revanche).


Voici que le Figaro titre : « Quand le communiste André Chassaigne se lie d’amitié avec Valéry Giscard d’Estaing ». Le reste de l’article est d’ailleurs à l’avenant. On a ainsi droit à une description de cette amitié contre-nature entre les deux hommes, à grands renforts d’anecdotes. Et notre député auvergnat de s’en donner à cœur joie et de détailler, presque la larme à l’œil et tout attendri, à quel point l’ancien président de droite est un chic type, à quel point leurs souvenir partagés son émouvants :


« Lors du premier con­seil, comme j’étais le benjamin, c’est moi qui ai dû faire l’appel. J’avais une petite pression, car je ne savais pas si je devais l’appeler “Giscard d’Estaing” ou “président Giscard d’Estaing” »
« Il est venu boire sa coupe de champagne avec nous, alors que ce n’était vraiment pas son genre d’aller dans les différents groupes politiques. Tout le monde a passé un bon moment »
« On le décrit souvent, à tort, comme un homme hautain. J’ai eu la chance de connaître une facette du personnage plutôt méconnue »
On apprend également qu’André Chassaigne s’est empressé de dépanner Giscard d’Estaing en main d’œuvre ouvrière, en lui adressant les coordonnées d’un ami bûcheron, syndicaliste et communiste de surcroît ! Plusieurs arbres étaient tombés dans la propriété de Giscard et il était urgent de rendre service à ce notable, évidemment. C’est qu’il n’aurait pas fallu que Giscard d’Estaing entretienne lui-même sa propriété, tout de même… Dans la foulée (et l’on apprend que « Ils l’ont gardé pendant longtemps, et ça se passait très bien. Valéry Giscard d’Estaing discutait régulièrement avec lui, en toute modestie »… Quel grand seigneur !), l’ancien président, désormais président de la région, demandait à Chassaigne et son ami de préparer un plan d’action pour aider les bûcherons. Voilà donc la politique ? Rendre des services aux notables pour qu’ils nous récompensent par des mesures sociales ? Il n’est certes pas question ici de regretter le plan d’aide, mais voir André Chassaigne se féliciter du déroulement de cette affaire, c’est quand même autre chose.

Il va de soi qu’une telle amitié est improbable, et pour de bonnes raisons. Giscard d’Estaing avoue ne pas comprendre que quelqu’un « d’aussi intelligent que Chassaigne puisse être communiste ». Lorsqu’on est communiste, justement, cela doit choquer… Un homme politique de droite qui juge un communiste comme n’appartenant pas à la bonne famille politique, il y aurait normalement de quoi faire son auto-critique et réaffirmer sa ligne clairement. Pourquoi donc André Chassaigne n’a-t-il pas considéré cela comme un signal d’alerte ? Qu’on aime ou non le grand Dédé, qu’on le juge pertinent ou pas, cela importe peu : le fait est qu’il est intégré au PCF qui a abandonné ses fondements communistes depuis déjà des décennies. Exit l’ordre social nouveau, exit le socialisme, exit l’espoir, exit les masses… De là, rien de particulièrement étonnant à voir ses membres s’entendre personnellement avec la droite. C’est regrettable, mais prévisible.

André Chassaigne est une figure très appréciée en Auvergne et même au niveau national à Gauche. La population aime ses discours – il est vrai qu’il est excellent orateur -, sa défense acharnée des petits, des travailleurs, des petits agriculteurs, des chômeurs… Et de fait, ce n’est pas quelqu’un de mauvais, loin de là. Seulement, on a parfois l’impression qu’il s’agite pour rien. Plus exactement, on a le sentiment que toute son énergie et sa sincérité tombent dans le néant. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question qui le concerne directement, puisque tout son parti est touché. Mélenchon s’agite dans tous les sens et en profite. L’extrême-droite aussi. Au PCF, rien. Ce parti stagne, au mieux, voire s’efface encore un peu plus, oublié par une population de laquelle il s’est lui-même coupé. Population qui, pourtant, a de la sympathie pour ce parti, ses militants, et certains élus comme André Chassaigne, mais le PCF ne redécolle pas pour autant.

Notre député représente bien cette coupure du PCF et de la gauche ouvrière d’avec les masses. La sincérité est là, la volonté de bien faire aussi. Mais il n’y a pas de coupure avec les valeurs dominantes, avec la bourgeoisie, avec l’Auvergne des notables, du terroir, de la chasse. Le PCF d’aujourd’hui se résume à son soutien à la CGT, une démarche purement électorale et un ancrage très jaurèssien dans la « République » perçue comme un idéal. Il n’y a plus de confrontation de classe avec la bourgeoisie, ni sur le plan politique, ni sur le plan culturel.

Valéry Giscard d’Estaing est peut-être un homme très sympathique en privé. Il n’en est pas moins un adversaire, qui représente tout ce qu’il faut aujourd’hui passer par dessus bord : les propriétaires terriens, les notables, les dynasties politiques, les chasseurs (dont Giscard est), etc. Bref : la droite. En s’étalant – de surcroît dans le Figaro – sur son amitié pour Giscard, en toute candeur, André Chassaigne envoie un très mauvais signal : celui d’une Gauche qui ne s’assume pas, qui est condamnée à la stagnation et à la déconnexion d’avec le peuple. Pendant ce temps, les masses suivent par millions les sirènes du populisme – y compris prétendument « de gauche » – et du projet réactionnaire qu’il porte.

Réveille-toi, Dédé !

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