Virus et individualistes en liberté
L’incivilité n’est pas nouvelle. Les comportements anti-sociaux non plus. On aurait pourtant pu penser que l’épidémie dont nous subissons encore les effets aurait eu le mérite d’éveiller les consciences, d’amener chacun à comprendre la nécessité de la responsabilité collective… Quelle naïveté ! Depuis le dé-confinement décidé par le gouvernement, beaucoup retournent à leurs mauvaises habitudes, comme si tout était fini et qu’on pouvait redevenir un petit égoïste sans gêne ni scrupule. La différence est que, s’ils étaient des crétins peu civilisés, ils apparaissent maintenant comme des crétins peu civilisés criminels.
Le maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, rappelait il y a quelques jours qu’il ne fallait pas jeter son masque n’importe où. Où est-on arrivé pour qu’il soit nécessaire de faire pareille précision ? L’inconscience et l’individualisme ont différents niveaux, évidemment. Il y a des erreurs involontaires, bien sûr, mais pour beaucoup, la démarche est volontaire : « Même pas peur du virus ! Ce ne sont pas quelques morts qui vont m’empêcher de faire ce que je veux ! » Ainsi pourrait être résumé leur état d’esprit.
Alors que de nombreuses personnes ne disposent pas de masques (et, pour certaines, doivent quand même travailler), d’autres ont le culot de se promener avec… mais en le tenant à la main, ou en le portant baissé sous le menton. Ailleurs, on se fait la bise, on papote à trente centimètres de distance l’un de l’autre, ravi de partager ses miasmes et ses postillons. Plus loin encore, on fume sa cigarette (une mauvaise idée en soi, d’ailleurs) en crachant par terre toutes les deux bouffées cancérigènes. Pas besoin de cigarette pour cracher, d’ailleurs : il paraît que ça fait « mec viril » de cracher. Qu’est-ce qui est plus viril ? Cracher au sol, tousser sans mettre d’obstacle à la propagation de ses microbes ? Laissons ces considérations aux imbéciles que ça concerne et constatons seulement que les deux pratiques sont aussi dégoûtantes et anti-hygiéniques.
Mentionnons également ce vieux sandwich abandonné à son triste sort sur un banc public que les gens n’approchent plus, tant il est envahi de fourmis (qu’on remercie au passage pour l’opération de nettoyage entreprise sur ces restes).
Plus généralement, alors que la Nature semblait reprendre timidement du poil de la bête avec le confinement, le contraste avec sa destruction quotidienne frappe et l’on se demande comment on peut la souiller à ce point, par égoïsme et mépris de tout ce qui n’est pas soi. Au lieu d’apprécier un ruisseau, on y découvre des lambeaux de plastique entravés dans les racines qui en émergent sur les côtés. Ailleurs, croyant naïvement profiter d’un petit coin de verdure en centre-ville, on y découvre des canettes, des bouteilles, trainant au milieu de l’herbe.
Au dessus de nos têtes, les corbeaux freux croassent de leur voix grinçante. On en vient à penser qu’ils se moquent de cette humanité décadente et sale.