Socialisme universel ou guerre mondiale

Le mois de janvier s’achève et ce n’est que maintenant, après d’ailleurs des mois de silence, qu’Auvergne à Gauche choisit de s’exprimer sur l’année qui vient de s’écouler et de dresser quelques perspectives pour l’année 2024.

Nous souhaitions, en ne mêlant pas nos voix au brouhaha permanent et frénétique des réactions et indignations politiques feintes ou sottes, qui abêtissent et obscurcissent l’horizon pour qui se soucie encore de ce qui s’annonce derrière, prendre un peu de hauteur et inscrire nos réflexions dans ce temps long que la société turbo-capitaliste d’aujourd’hui rend toujours plus difficile à considérer.

Cette société, précisément, en est de moins en moins une. Tout ce qui devrait faire la société humaine est perverti, avili, étouffé. Tout sentiment collectif est remplacé par l’individualisme capricieux et régressif, la réflexion et la raison font place à la réaction spontanée et à l’irrationalisme, la sensibilité est malmenée à la fois par l’enfermement subjectiviste et par la brutalité générale des relations humaines au sein du capitalisme, la science est niée par les restes religieux d’un féodalisme qu’on rêverait enfin enterré et par les décérébrés qui font de leur ignorance une fierté, tandis que la culture, les arts et le patrimoine sont rabaissés au rang de marchandises ou de fantasmes identitaires.

C’est là le sens profond de notre engagement, finalement : construire la société humaine. Celui d’aujourd’hui étant failli, décadent, injuste, il s’agit de bâtir un ordre nouveau pour l’humanité. Une humanité qui avance, unie en une collectivité consciente et raisonnante, riche de son patrimoine culturel et de sa science toujours en développement, vers l’avenir, l’harmonie avec cet ensemble complexe et riche de vie qu’est notre planète.

Nous l’avons dit et répété, l’actualité essentielle est l’opposition, selon la formule consacrée, entre le socialisme et la barbarie. Cette dernière, accélérée par la crise générale du capitalisme, se matérialise par une décadence obscurantiste généralisée et une tendance générale à la Troisième guerre mondiale entre le bloc occidental mené par les Etats-Unis et le bloc sino-russe, avec leurs vassaux respectifs à travers le monde. Tout découle de cela. Chaque conflit local relève de cette tendance générale : Ukraine atlantiste/Russie, Arménie (sphère russe)/Azerbaïdjan (soutenu par l’UE et l’Ukraine), Israël occidental/Hamas soutenu par l’Iran (donc Russie et Chine), Venezuela sino-russe/Guyana qui s’est récemment rapproché des Etats-Unis, etc.

C’est la même opposition qu’on retrouve à tous les niveaux, sur le plan des valeurs : le camp occidental se fait le champion de l’individualisme subjectiviste et de la marchandisation généralisée, tandis que le camp sino-russe se veut le camp des valeurs traditionnelles. Ainsi, les premiers défendent les « identités » individuelles et leur susceptibilité, la gestation pour autrui, le « travail du sexe », le transactivisme homophobe et sexiste, tandis que les seconds font dans le patriarcat classique, l’homophobie, la relégation des femmes à un rôle passif et soumis, etc. Cette opposition générale ne saurait toutefois masquer la nature au fond similaire de ces deux camps : des blocs impérialistes avec leurs vassaux, tout autant opposés à l’universalisme, au progrès collectif, aux intérêts des peuples, à la défense de la planète et de ses animaux.

La tâche de la Gauche devrait être de dénoncer cette fausse opposition, de se poser en alternative démocratique, universaliste et pacifiste ; de lutter contre l’alignement de notre pays sur le camp occidental, tout en maintenant à distance (sanitaire) ceux qui prônent le rapprochement idéologique et politique avec le camp opposé. Au lieu de cela, après des décennies de renoncements idéologiques, de trahisons politiques, d’abandon du travail idéologique, de coupure avec les masses populaires, les restes de notre pitoyable gauche se contentent de défendre les quelques progrès qui avaient été acquis jadis quand la gauche avait encore une perspective politique progressiste, et espère simplement récupérer assez de miettes du gâteau capitaliste. Trop perdue pour même prétendre gérer le capitalisme, elle espère simplement que celui-ci puisse lui laisser de quoi subsister. Elle est « contre les réformes libérales », mais ne propose aucune remise en cause du capitalisme, même par la voie réformiste. Elle est « contre le racisme », mais abandonne l’universalisme au profit d’un racialisme ou d’un paternalisme à l’égard des étrangers ou de leurs descendants français. Elle est contre le « mépris de classe » et la « pauvrophobie » (sic), mais est largement bourgeoise et petite-bourgeoise, sans contact conséquent avec la classe ouvrière (de toute manière, celle-ci n’existe plus, pour ces gens).

Ainsi, EELV est le parti le plus américain du pays, avec le même moralisme semi-chrétien, le même libéralisme subjectiviste, le même soutien au militarisme atlantiste que le Parti démocrate étasunien. Le Parti socialiste, après avoir été le parti de la gestion « de gauche » du capitalisme sous Hollande, puis l’allié soumis de Mélenchon, se range aujourd’hui derrière Raphaël Glucksmann, ancien militant bushiste ultralibéral puis conseiller du tortionnaire corrompu Saakashvili, qui veut aujourd’hui une UE au capitalisme et au militarisme plus fort, et souhaite une « guerre longue » en Ukaine. Inutile de parler de la France insoumise et de ce qui gravite autour, tant ce parti doriotiste au service objectif de Marine Le Pen fait chaque jour davantage étalage de son antisémitisme profond et de son indignité générale.

Le Parti communiste français, lui, conserve quelques bons réflexes (voir ici) mais, l’idéologie marxiste ayant été abandonnée au profit d’un genre de jauresso-cégétisme, se noie dans l’accentuation de ses défauts, avec un chauvinisme certain, un populisme para-syndical, un style beauf, un léger penchant pour le camp sino-russe (clins d’œil à la Chine, croyance en un Cuba socialiste, etc.). C’est que l’assise ouvrière qu’avait jadis le parti s’est réduite à peau de chagrin, et la corruption idéologique en se soumettant au PS puis à Mélenchon ont fini d’aggraver ce qui pouvait éventuellement n’être que des erreurs rectifiables. La confusion idéologique du PCF est profonde et regrettable tant ses militants sont généralement sincères et de bonne volonté. Sans rigueur idéologique et une autocritique sérieuse sur les conceptions qui ont amené ce parti à n’être aujourd’hui que l’ombre de ce qu’il fut, son utilité dans la lutte pour le socialisme sera quasi-nulle et contre-productive. On peut en dire autant de la Fédération de la Gauche Républicaine, constituée aux législatives autour de la Gauche républicaine et socialiste (proche de Fabien Roussel désormais) : on y sent un attachement sincère à l’idée d’une gauche universaliste, qui défend la raison et le progrès social… mais la tendance à la gestion chauvine du capitalisme tricolore (façon Chevènement ou Montebourg) y est également très marquée et ne saurait constituer une voie de salut.

Consciente de toutes ses faiblesses, cette triste gauche est toujours plus une post-gauche : au lieu d’assumer ses erreurs et de revenir à ses fondamentaux, elle fonce dans la « modernité » ou plutôt la post-modernité, tant elle est idéologiquement toujours plus alignée sur les libéraux post-modernes étasuniens, avec son racialisme, son sexisme 2.0 et sa nouvelle homophobie, son clientélisme religieux, son paternalisme utilitariste envers l’immigration. Pour masquer tout cela et mobiliser sa clientèle électorale, elle s’agite, parle beaucoup, fait du bruit. Elle « réagit » plus qu’elle ne pense, tout comme elle tente de moraliser le capitalisme (suivant une morale plus chrétienne-sociale que socialiste) au lieu de le renverser, elle propose un militantisme « à la carte », sans engagement, prêt-à-porter (à porter sur les réseaux sociaux, principalement). En fonçant toujours plus dans cet ultra-modernisme faussement progressiste, elle renforce le camp de l’anti-modernité, de la prétendue « remise en ordre » de la société : l’extrême-droite. En surjouant l’ultra-politisation, elle renforce la dépolitisation générale. En se sur-agitant sans cesse, elle alimente la passivité.

Assumons donc d’être la Gauche du temps long, de la sensibilité, de la raison et surtout de la fidélité aux valeurs historiques de notre camp. Refusons cette année encore et peut-être plus que les précédentes de nous mêler à la décadence de la post-gauche. Laissons-la croupir et s’enliser dans le populisme, l’activisme prêt-à-porter symbolique, le racialisme, le patriarcat 2.0, l’antisémitisme, le militarisme et tous ces déchets réactionnaires produits par la société capitaliste occidentale en crise, et continuons de brandir le drapeau de l’universalisme, de la culture et de la science, bref : du socialisme.