Qu’est-ce que la Gauche attend ?

Crédits photo : © L. Breuil / France 3 Auvergne

Ce mardi, en Auvergne comme partout en France, de nombreuses personnes se sont à nouveau mobilisées contre la réforme des retraites.

Dans notre région, le mouvement a été particulièrement suivi et les manifestations ont réuni du monde : 300 personnes à Issoire, 1 200 à Aurillac, 1 800 à Moulins, 2 500 à Montluçon… Mais c’est évidemment à Clermont-Ferrand qu’elle a été tout spécialement massive, avec 7 800 manifestants selon la préfecture, 10 000 ou 11 000 selon La Montagne (qui admet ne pas être certaine de son chiffre), 25 000 selon les syndicats. Si on peut se dire que les syndicats exagèrent peut-être, le nombre avancé par la préfecture est, selon son habitude, ridicule, au point même que la presse (pourtant peu portée sur la critique des institutions) a été obligée de revoir à la hausse. On y a retrouvé des cheminots, des enseignants (surtout à Clermont-Ferrand), des ouvriers (Michelin, notamment)… mais aussi, fait plus rare, des avocats (dont il faut toutefois remarquer la logique corporatiste, sur le mode « défendons nos avantages particulier car nous sommes très utiles à la société », mais avec une détermination certaine) :

Emmanuelle Richard, avocate au barreau de Clermont-Ferrand, affirme à La Montagne :

« On est là pour défendre notre système de retraite et à travers cela, défendre l’accès à la justice. Si demain les avocats ne gagnent plus leur vie, les petits cabinets qui font de l’aide juridictionnelle ne pourront plus suivre. On se mobilisera en janvier, en février, autant qu’il le faudra, toutes les semaines s’il le faut. Il faut que l’on reste uni. La trêve ? Elle viendra une fois que le Gouvernement aura reculé. Il faut souligner que les gens qui sont là aujourd’hui perdent une journée de salaire et croient en ce qui est juste. Chacun son combat !».

Au delà du nombre de participants aux manifestations, il faut noter quelques autres événements. Les cheminots d’Aurillac ont bloqué les voies, pour protester contre la suppression des chefs de gare et de celle des contrôleurs qui s’annonce également, deux mesures impactant la qualité du service, ainsi que la sécurité des voyageurs. A Montluçon, la CGT a annoncé durant la manifestation que des coupures de courant ciblées avaient été réalisées (en particulier au centre des impôts), de la même manière que le courant avait été coupé dans le quartier de La Pardieu, à Clermont-Ferrand, la semaine dernière.

On notera également l’action menée au CHU de Clermont-Ferrand où, alors que la grève du codage des actes médicaux se poursuit, 200 personnes ont formé une chaîne humaine mêlant médecins, internes, aides-soignants, ou infirmiers, avant de s’allonger au sol, figurant ainsi symboliquement la mort de l’hôpital public. Les chefs de service du CHU menace de quitter leur poste, tout en ayant conscience de la surdité du gouvernement, des risques de violence qu’elle engendre.

Sophie Gonnu-Levallois, médecin anesthésiste au CHU Estaing, explique (dans La Montagne, toujours):

« On est arrivé au bout de la réorganisation et de l’adaptation. On a l’impression que si on se réadapte, la question est « quelle infirmière, quel service, quel lit supplémentaire je ferme ? ». On a l’impression d’être arrivé au bout des réorganisations possibles sans toucher à la qualité des soins et à la bonne prise en charge des patients ».

Etienne Merlin, chef du pôle « femme et enfants » au CHU de Clermont-Ferrand, témoigne également de son sentiment « d’être une courroie de transmission entre des décisions désagréables prises au-dessus de [lui] et une application très désagréable à mettre en œuvre en-dessous de [lui]. Il ajoute ne pas considérer la démission de la chefferie de pôle comme une souffrance.

Ces témoignages terribles, et cette défense du service public hospitalier, dont l’état déplorable suscite l’indignation de tout le monde, sauf des vautours du secteur privé, est particulièrement juste, car c’est de la vie de la population qu’il s’agit, ni plus ni moins.

Bref : la mobilisation se poursuit et montre, par l’accumulation des colères, que le malaise social va au-delà de la simple réforme des retraites. Le mal est profond, et c’est la société capitaliste toute entière. De ce fait, une question brûle les lèvres : que diable attend la Gauche pour porter un réel projet de société ?

Beaucoup parlent de la nécessité d’unir la Gauche, et des initiatives en ce sens se mettent en place (notamment « uniondesgauches2022.org« , tout dernièrement), mais c’est bien d’un projet de société dont on a besoin. Jadis, François Mitterrand, Waldeck Rochet ou même Guy Mollet expliquaient à l’ORTF quelle était leur vision du socialisme. La Gauche historique, socialiste ou communiste, portait une volonté de rupture avec le capitalisme et une vision globale de la société. Aujourd’hui, qu’avons-nous ? Des gestionnaires se bornant à souhaiter un capitalisme plus social, plus démocratique, plus écologique. De reniements en reniements, la Gauche semble être revenue à son état de la fin du XIXe siècle : partagée entre un anarcho-syndicalisme assez apolitique et radical et un parlementarisme acceptant totalement le cadre capitaliste de la société.

Cela se ressent dans l’attitude de la Gauche à l’égard de cette mobilisation : elle suit les syndicats… et c’est tout. Les uns en pensant que le syndicalisme se suffit à lui-même, les autres en espérant en profiter électoralement. Il n’y a plus ni communistes, ni socialistes, et l’on ne parle d’ailleurs presque plus de la Gauche mais « DES gauches ». « Gouvernementale », « alternative », « radicale »… Chacun y va de son épithète, mais l’éclatement est manifeste, tout autant que le vide idéologique.

Alors que l’extrême-droite continue de propager son poison réactionnaire, avec une ligne social-corporatiste, que les médias mettent de plus en plus en avant l’idée qu’il faudrait remettre de l’ordre dans la société avec l’appui de l’armée, que le libéralisme du gouvernement est aussi amateur qu’agressif, la Gauche continue de foncer tête baissée dans le mur. Comment s’imaginer porter la Gauche au pouvoir en ne s’appuyant que sur le syndicalisme dont on connait en France la grande faiblesse ? Comment peut-on continuer face à tout cela, de nier la lutte des classes, le besoin de lutter contre la société capitaliste dans son ensemble, de porter une véritable vision du monde ?

Ce mouvement contre la réforme inique des retraites devrait pousser la Gauche à se ressaisir des enjeux de notre temps, à lever haut le drapeau de la politique, celui d’une nouvelle société !

Tout autant que d’unité, c’est d’un retour à ses valeurs historiques dont la Gauche à besoin.

Et la société aussi.

D’urgence.

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