Noël : fête réactionnaire ou fête de la générosité et de l’hiver ?
En France, comme dans bien d’autres pays, Noël est incontournable. Pour les chrétiens, c’est l’occasion de célébrer la naissance du Christ. Pour le capitalisme, c’est une période de grande ferveur consommatrice outrancière. Pour beaucoup, c’est simplement l’occasion de se réunir en famille, pour partager cadeaux et repas.
On le voit, Noël a de nombreux aspects et ceux-ci peuvent sembler contradictoires, ce qui rend plus ardue l’analyse de cette fête. Ce qu’il faut, c’est prendre un peu de recul. Un recul historique. Et culturel.
Malgré l’attachement profond de la population à cette fête, il n’est pas rare de tomber sur des gens la rejetant totalement.
Une des raisons à cela peut-être l’origine chrétienne de la fête. C’est effectivement une bonne raison. Pourquoi diable irait-on célébrer la naissance du Christ, si on ne croit pas en sa divinité et qu’on rejette totalement la religion ? S’il s’agit juste de se retrouver en famille, les non-chrétiens peuvent bien choisir une autre date que celle attribuée – de manière arbitraire et erronée – à la naissance de ce qu’ils ne considèrent que comme un prophète (pour les musulmans), un leader juif opposé aux romains, ou même carrément un mythe totalement inventé.
D’autres la rejettent pour sa dimension consommatrice proprement délirante. Dès que la vague « halloweenesque » (une autre fête devenue un grand n’importe-quoi anti-culturel, à l’opposé de la célébration des morts à laquelle elle est liée) est passée, voilà que les magasins se remplissent d’articles liés à Noël. Des milliards de jouets, de la nourriture riche en énormes quantités… Et chacun de se ruer, avide, vers ces temples de la consommation pour acheter le dernier jouet « hyper-mieux-que-ceux-d’avant-qui-étaient-pourtant-tout-pareils », ou acheter la « super-poularde-tradition-de-nos-régions-élévée-selon-la coutume-ancestrale-par-un-paysan-estampillé-made-in-France« . Il est certain qu’on peut se sentir agressé par ces appels à la consommation, martelés partout, de même qu’on peut très légitimement être effrayé par cette foule informe qui se presse et s’empresse de consommer.
Enfin, pour qui est sensible au sort des animaux, la fête de Noël peut également sembler parfaitement macabre. Passons sur les « jouets » alimentant la culture de la chasse et/ou désignant certains animaux comme « nuisibles » : fusils en plastique, cibles en forme d’oiseaux, rats télécommandés qui ont les yeux injectés de sang, etc. Passons sur les milliers d’animaux « de compagnie » achetés dans des animaleries (alors que les refuges débordent), puis offerts à tel ou tel cousin, et enfin abandonnés par ces derniers qui ne peuvent ou ne veulent pas en prendre la charge. Que dire enfin du sort immonde des oies et des canards qu’on engraisse dans des conditions ignobles, afin d’en consommer le foie malade ? Que dire de ces « fruits de mer » qui, contrairement à ce que leur nom indique, ne tombent pas des arbres, mais sont bien des animaux, qui finissent ébouillantés par millions ? Voilà bien en effet de nombreuses raisons de rejeter Noël.
Voilà bien trois raisons qui peuvent pousser quelqu’un se situant à Gauche à rejeter définitivement Noël. En effet, on peut difficilement être à Gauche et accepter une fête religieuse, consommatrice et meurtrière à l’égard des animaux. Toutefois, réduire Noël à ces trois dimensions serait une erreur. Il faut prendre davantage de recul.
En effet, le christianisme (non plus que le capitalisme évidemment) n’a pas créé Noël. En fait, cette période a été l’objet de cultes divers. C’est qu’elle est d’importance et l’était tout particulièrement pour les peuples anciens (Hébreux, Romains, etc.) qui attribuaient aisément des dimensions magiques ou divines à des phénomènes naturels incompris : le 21 décembre – jour le plus bref de l’année – est le jour du solstice, marquant symboliquement l’entrée dans l’hiver, cette saison où tout tourne au ralenti, du fait du froid. De fait, la Nature hiémale est omniprésente depuis l’antiquité jusqu’aujourd’hui : les Romains utilisaient déjà du houx, du gui, ou des conifères durant leurs Saturnales ; le fameux « sapin de Noël », qui a été un symbole protestant important (et à ce titre lontemps rejeté par l’Eglise catholique), était principalement un symbole de cette Nature qui persiste ; encore récemment, les enfants recevaient une orange, en guise de cadeau, car ce fruit est un des rares que l’on peut trouver en hiver. La symbolique liée à la lumière a également été présente depuis l’antiquité, notamment avec le culte du « Sol invictus », culte romain assez inspiré du mithraïsme. Pour les chrétiens, c’est Jésus qui apporte la lumière, mais l’idée est proche (le christianisme n’étant pas non plus étranger au mithraïsme).
La célébration de l’hiver et du solstice, avec tous les symboles qu’elle peut porter, n’est pas la seule dimension historique de Noël. Il y a évidemment la générosité et le partage. En effet, quand il fait froid et que les denrées sont rares, il est naturel de se regrouper et de partager.
Depuis l’antiquité, avec les festivités liées aux Saturnales, durant lesquelles les esclaves étaient traités comme égaux à leurs maîtres, jusqu’au Moyen-Âge, où les seigneurs organisaient des fêtes où l’on écoutait de la musique, jouait et festoyait, la convivialité était de mise. Evidemment, tout ceci étant pré-chrétien, l’Eglise catholique, en organisant des distributions de soupe et des saynètes autour de la Nativité, ou même les protestants, qui interdirent ces festivités en Ecosse et en Angleterre, s’y sont opposés. Les larges fêtes populaires ont disparu, en se recentrant sur la famille.
Le Noël catholique traditionnel s’organisait autour de quatre messes, dites dans la nuit du 24 et la journée du 25, plus tard bien souvent « ramassées » en une seule grande messe, dite « de Minuit ». Dès le Moyen-Âge, on mangeait un « gros souper » (relativement léger) avant cette messe, et un « réveillon » juste après, et beaucoup plus gras. Au-delà de l’aspect festif, on comprend que son utilité première était de donner des forces et de réchauffer tout le monde.
Voici d’ailleurs un aperçu intéressant de ce que pouvait être un soir de 24 décembre en Haute-Auvergne, jadis : (cliquez sur l’image)
Si aujourd’hui l’aspect chrétien a très souvent disparu, le réveillon du 24 décembre persiste, sous la forme d’un large repas rassemblant toute la famille qui est souvent l’occasion de réunir des familles éclatés géographiquement et dont les membres ne se voient que très rarement.
Justement, si Noël est une fête familiale, elle est en particulier celle des enfants. Quoi de plus normal pour une événement lié à l’idée de régénérescence de la Nature (car c’est bien là le rôle naturel de l’hiver) ? La place des enfants a toujours été très importante, de la fête juive de Pourim aux Saturnales romaines, en passant la fête de Yul chez les peuples nordiques.
Le personnage mythique du Père Noël, inspiré de Saint Nicolas, puis diffusé notamment par la publicité de Coca Cola, a désormais perdu tout caractère religieux et apparaît pour beaucoup de familles comme une sorte d’étape obligatoire par laquelle chaque enfant doit passer. La figure du Père Noël, dont on apprend aux enfants, à un certain âge, qu’il n’existe pas, les ramène dans la réalité, en mettant de côté les croyances surnaturelles. En réalisant que ce n’est pas un bonhomme qui offre les cadeaux, mais les parents, les enfants découvrent que la générosité est universellement répandue parmi les masses. La générosité est donc naturellement présente. En fait, la Nature elle-même est généreuse : elle « donne », sans raison précise. C’est le principe même de la Biosphère, comme ensemble cohérent produisant la vie. D’une certaine manière, en cessant de croire au Père Noël, l’enfant se rapproche de la Nature. Une Nature qui n’est plus perçue comme surnaturelle, comme durant l’antiquité, ou le moyen-âge mais comprise de manière matérielle et rationnelle.
On le voit, Noël combine plusieurs aspects : ceux, négatifs, de la surconsommation, de la destruction de la Nature, de la superstition et de la religion et ceux, positifs, de la célébration de la Nature hiémale, de la générosité, des enfants et de la famille. Dès lors, nous affirmons que, plutôt que de la rejeter en bloc, cette fête doit être débarrassée de tous les éléments qui la pourrissent.
Dès lors, nous affirmons qu’elle porte des valeurs tout-à-fait positives, que la Gauche doit mettre en avant, à la condition néanmoins de se défaire des restes du passé, qu’il soit féodal ou capitaliste. Nous devons faire renaître un Noël authentiquement progressiste, de célébration de la vie, du partage et de la Nature. Cessons de consommer foie gras, chapons et poulardes (même s’il s’agit là d’une pratique qui, évidemment, dépasse le seul jour de Noël), de massacrer des millions de sapins pour ne les utiliser que quelques jours (des alternatives existent), choisissons des cadeaux qui ne sont pas importés de l’autre bout du monde, qui ne soient pas polluants, sexistes ou culturellement barbares.
Refusons l’hyper-consommation et le mysticisme religieux !
Défendons la Nature d’hiver, la générosité, le partage !
Vive Noël !
(Bonus : un petit reportage sur la confection de boules de Noël en Auvergne : cliquez-ici)