Montluçon : la Gauche n’est pas à la hauteur

Montluçon est, pour ainsi dire, le berceau du socialisme dans le Bourbonnais, notamment depuis l’élection de Jean Dormoy, du Parti ouvrier français, à la marie de la ville en 1892. Son fils Marx Dormoy, également maire, fut même ministre SFIO du Front populaire. Bastion ouvrier, la ville a été dominée par la SFIO de 1908 à 1977 quasiment sans interruption, avant de céder la place à un PCF assez fort dans la ville, jusqu’en 2001.

Les relations entre socialistes et communistes ont toujours été distendues. En 1959, au second tour, s’affrontent Jean Bidault, du PCF, et André Southon, SFIO soutenu par la droite réactionnaire du CNIP et les gaullistes de l’UNR. En 1965, toujours face à Jean Bidault, le socialiste Jean Nègre se présente en alliance avec l’ensemble de la droite : MRP, CNIP, UNR et les radicaux. En 1977, la tendance s’inverse et, dans la logique du programme commun, Pierre Goldberg gagne face à la droite unie, en rassemblant le PCF dont il est membre et le Parti socialiste. Dès 1983, l’alliance se brise, PCF et PS partant séparés, mais ils finissent par fusionner leurs listes au second tour. Une bonne idée puisque Pierre Goldberg l’emporte à nouveau face à la droite, avec presque 60% des voix.

C’est peu dire que d’affirmer que la question de l’union de la Gauche est primordiale à Montluçon, où employés, ouvriers et « professions intermédiaires » totalisent 45% de la population (sans compter les retraités, modestes pour beaucoup). Alors que l’ancien maire, Daniel Dugléry, est mis en examen pour prise illégale d’intérêt, et que sa majorité se disloque sur fond de critique de sa gestion magouilleuse de la ville, l’horizon politique de la Gauche apparaissait soudain plus radieux. La majorité sortante est divisée entre M. Laporte et M. Roudillon, LREM présente une liste portée par M. Jarrige et Sylvie Sartirano présente elle aussi une liste droitière. Quant au RN, il n’a pas les moyens de présenter de liste, et c’est tant mieux !

Pourtant, la Gauche part désunie, en ne présentant pas moins de quatre listes !

Alors que plusieurs élus socialistes, écologistes et communistes (Frédéric Kott et Juliette Werth du PS, Philippe Buvat d’EELV et Pierre Mothet du PCF) étaient en discussion pour monter une liste rassemblant largement la Gauche, le Parti socialiste avait fait entendre une toute autre musique en décidant de présenter un chef de file avant d’envisager toute forme d’alliance. Résultat : alors que Frédéric Kott et Pierre Mothet ont été désignés pour représenter l’union de la Gauche (Gs, PCF, EELV) aux élections municipales et communautaires, le PS a finalement désigné Mathieu Bogros qui n’hésite pas à taper sur l’opposition de gauche sortante, au nom du « renouvellement et du courage ». Frédéric Kott a été exclu du PS, pour dissidence. Une situation qui rappelle ce qui est arrivé à Yzeure. M. Bogros justifie cette exclusion en parlant des « valeurs socialistes » qui n’auraient pas été respectées. Ces exclusions ne sont pas sans rappeler celles menées par le secrétaire macronistes du PS de l’Allier, contre d’autres dissidents. On le voit, l’appareil socialiste entend se montrer discipliné mais sans remettre en cause ses propres dérives. Dès le début, M. Bogros envisageait l’alliance à gauche comme un ralliement derrière lui… pour un candidat dont la légitimité repose sur le vote de 17 militants PS, c’est un peu gonflé !

La France insoumise, qui avait annoncé ne pas présenter de liste à Montluçon, soutient finalement la liste de Stéphanie Charret, également soutenue par l’ancien maire Pierre Goldberg (s’opposant ainsi à son propre parti), qui voyait récemment le mouvement des « Gilets jaunes » comme vecteur de changement progressiste dans le pays… La liste porte le discours « citoyen » du populisme de gauche, avec une coloration altermondialiste marquée… et un rejet de la liste de M. Kott, pour éviter de côtoyer des élus (quelle horreur !), dans une logique « dégagiste ». Evidemment, il s’agirait de la « vraie gauche ».

Enfin, Lutte ouvrière se présente et, comme souvent, est à côté de la plaque. Jean-François Reul a certes raison de rappeler que le coeur de la Gauche doit être la classe ouvrière, qui « fait tout fonctionner », et fait un juste constat : « Les personnes sont laissées dans la misère. On est quand même la ville des 20 % : 20 % de chômeurs, 20 % de pauvres, 20 % de logements vacants. On a vu l’extrême misère dans les quartiers. » Si la classe ouvrière est centrale, alors comment peut-il parler des « communautés portugaise, turque et des Comores » présentes sur sa liste, pour justifier son « internationalisme » ? On serait donc internationaliste parce qu’on aurait des français d’origine étrangère sur sa liste ? On voit ces gens-là comme étant des étrangers, et plus comme des membres de la classe ouvrière française ? De plus, LO entend mener, comme partout, une campagne servait « de point d’appui pour les luttes » dans une logique très para-syndicaliste. C’est que LO – rejointe ici par d’anciens membres du PCF – entend se poser en remplaçante de ce dernier. « Nous sommes les seuls communistes », affirme M. Reul, qui entend récupérer sur son nom le prestige ouvrier passé du parti jadis le plus influent de Montluçon.

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