Le confinement vu d’une pharmacie

Nous avons rencontré Paul, étudiant en pharmacie qui a bien voulu nous parler de son expérience de la période de confinement depuis la pharmacie où il travaillait.

Tu es étudiant en pharmacie. En quelle année es-tu ? Comment s’organise-t-elle, entre l’université et le travail en pharmacie ?

Je suis en sixième année de pharmacie. Le principe, c’est des cours de septembre à décembre, et un stage en pharmacie de janvier au trente juin. Finalement, ça nous fait un semestre de fac «normal», si ce n’est qu’on a eu pas mal de pratique (on a une salle de simulation qui le permet), et un travail «normal» en pharmacie l’autre moitié de l’année. Je dis «normal» parce qu’on est considéré comme un employé classique : 35h, vacances, etc.

Quels étaient tes horaires ?

La pharmacie est ouverte de neuf heures à midi et demi, et de trois heures à sept heures et demie, mais moi je termine à six heures et demi. Deux fois trois heures et demie, quoi. Si on multiplie par les cinq jours de la semaine, ça fait bien trente-cinq.

Comment ça s’est passé avec l’épidémie ? Qu’est-ce qui a changé pour vous ?

Les pharmacies de la zone se sont mises d’accord pour fermer à sept heures, mais les horaires normaux ont repris depuis le onze. A part les horaires, on a dû prendre plusieurs mesures pour assurer la sécurité et la distanciation : masques et gel hydro-alcoolique, évidemment, plexiglas au comptoir, marquage au sol… On a dû laver nos blouses bien plus souvent : deux fois par semaine, plutôt qu’une fois toutes les deux ou trois semaines. Pour éviter que les personnes âgées ne se déplacent, la pharmacie a annoncé dans le journal municipal qu’il était possible d’appeler pour se faire livrer. Il y a eu beaucoup de livraisons.

Ca se passait comment, ces livraisons ?

On utilisait la voiture de fonction. La règle de base, c’était de ne pas rentrer chez les gens : on sonnait, on posait au sol et on repartait pour éviter les contacts avec eux. On croise quand même pas mal de monde à la pharmacie donc on est potentiellement en contact avec le virus, ce serait idiot de venir le refiler au gens.

Qui s’en chargeait ?

La plupart du temps, les préparatrices y allaient, mais quand elles ne pouvaient pas, c’est moi qui m’en chargeait.

Est-ce que vous avez eu des soucis, concernant le matériel, les masques, le gel ?

Au début, on a déstocké du gel pour l’utilisation du personnel. Du coup, il n’y en avait plus assez pour la vente. Après, ça s’est amélioré : L’Oréal en a fabriqué et fourni aux professionnels de santé du coin, ça nous a aidé.

Pour les masques, il nous restait des stocks de l’époque du H1N1. Et puis on peut se servir dans le stock d’Etat, maintenant.

Sinon, au début, on utilisait des gants mais on a vite arrêté : ça protège l’opérateur mais on touche plein de trucs sales donc ça sert à rien finalement.

On a eu un autre souci, en revanche : on avait pas du tout anticipé les problèmes de communication engendrés par les masques, notamment avec les personnes âgées un peu dures d’oreille ou les sourds. Entre les masques et le plexiglas… Pour peu que l’imprimante fonctionne à côté, ça devient infernal. On a un client sourd-muet qui lit sur les lèvres. Pour lui, on faisait une exception et on enlevait le masque. Sans ça, ça aurait été impossible pour lui.

On a aussi eu beaucoup de tâches administratives, notamment avec les livraisons : il fallait tout noter, conserver une trace avec le numéro professionnel, etc. Quinze jour après, le système a changé, il a fallu refaire les listings depuis le début, ça n’a pas été marrant.

Globalement, quelle a été l’attitude générale des clients de la pharmacie, pendant le confinement et la période épidémique plus généralement ?

On a eu différents types de personnes. Bien sûr, beaucoup avaient une attitude normale, même s’ils étaient évidemment plus attentifs aux mesures barrières. Par contre, on a eu doit à des gens qui ne «croyaient pas» à l’épidémie, avec des théories du complot. Là, c’est assez spécial… Il y avait aussi des gens assez anxieux. Je me souviens d’une dame qui est venue avec le souffle court, comme si elle était venue en courant : en fait, c’était juste le stress. J’ai essayé de la rassurer, il n’y avait évidemment pas de raison de stresser comme ça.

Ce qui a été exaspérant, c’était de répondre trente-huit fois par jour au téléphone pour répéter qu’on avait pas de gel ou qu’on ne pouvait pas vendre des masques. Certains appelaient tous les jours pour savoir, comme si ça allait changer d’un seul coup.

Comme on a obtenu le droit de renouveler les ordonnances pour éviter aux gens d’aller chez le médecin, plusieurs ont essayé d’en profiter en nous amenant des ordonnances super-vieilles, ou concernant des médicaments avec une législation particulière. Sans même parler de ceux qui venaient chez nous uniquement par flemme. C’est un peu n’importe quoi, faut pas exagérer.

Et puis certaines personnes âgées avaient du mal avec le confinement et venaient tous les jours pour des broutilles. Je pense à un vieux monsieur qui venait tous les jours pour demander un masque. La pharmacienne a dû parfois le rappeler un peu fermement.

Il y a aussi les gens jamais contents : ceux qui nous harcèlent pour avoir des masques et, quand on en a, nous disent «ah ben je vais pas en prendre» parce qu’ils sont avec des liens et pas des élastiques. Beaucoup le portent de travers, aussi. Sous le menton, par exemple. C’est pas sérieux.

Il faut quand même reconnaître que, globalement, les gens respectaient bien les mesures barrières et ont bien coopéré. Beaucoup nous ont remercié, même. Ca éclairait la journée !

Quel est ton regard sur la gestion générale de l’épidémie dans le pays ?

Je vais surtout parler du monde de la pharmacie, mais j’imagine que ça déborde un peu.

Il y a eu énormément de directives un peu contradictoires d’un jour à l’autre : interdiction de vendre des masques puis autorisation d’un seul coup. Tel jour, on peut en donner, puis non, puis si. Faut suivre sinon t’es vite largué. Le syndicat auquel notre pharmacie est affiliée faisait des points réguliers pour éclaircir les directives. Ca nous a aidé parce que les infos officielles n’étaient pas toujours très claires. Sur Facebook aussi, il y avait pas mal d’entraide entre les pharmaciens, à ce sujet.

Les annonces du gouvernement n’étaient pas toujours très claires mais étaient relativement prudentes. Les media, en revanche, sont toujours très tranchés et sûrs d’eux. Quand on voyait sur BFM que ça parle de chloroquine, de nicotine, etc., on savait que dès le lendemain, on aurait des tas des questions et qu’on passerait notre vie au téléphone. Les gens surréagissent aux annonces médiatiques. Forcément, ça joue sur le stress et la quantité de travail du personnel médical. Tout ça était agaçant : les media auraient dû être plus responsables et mesurés, et les gens ne réfléchissaient pas. Exemple : le gouvernement dit que les pharmacies vont pouvoir vendre des masques, les media disent que c’est bon, les pharmaciens en vendent déjà et dès le lendemain matin les gens s’imaginent qu’on a rempli le stock par magie et toute la journée, c’est « vous avez des masques ? vous avez des masques ? vous avez des masques ? ».

Quelles remarques voudrais-tu faire sur le monde de la pharmacie en général ?

Je pense que ça a remis le pharmacien dans son rôle de professionnel de santé de première ligne. On n’est pas juste des commerçants, quoi. Il y a plusieurs raisons à ça. Déjà, c’est une des rares professions de santé avec les infirmiers à domicile qui se sont maintenus pendant le confinement. Plus de liberté leur a été donnée : renouvellement d’ordonnances arrivées à terme, distribution de masques aux professionnels de santé. Déjà, on parle d’élargir les responsabilités des pharmaciens en leur confiant la possibilité de réaliser les tests pour le Covid-19 (c’est un bruit de couloir, pour l’instant, mais c’est aussi bien, au final). Les pharmacies, notamment à Vichy, qui ont une large partie de leur activité tournée vers le cosmétique, ont eu une grosse baisse d’activité. D’autant plus que leur clientèle – celle des cosmétique surtout – est une clientèle « de passage ». Tout ça, ça a vraiment permis de ramener les pharmaciens à ce qu’ils sont vraiment : des professionnels de santé qui sont là pour être au service de la population. Les gens s’en rendent compte.

D’ailleurs, on a eu plein de nouveaux clients mais qui ne resteront pas : ceux qui n’avaient pas l’habitude d’aller en pharmacie ou plus simplement qui ne pouvaient plus aller à celle où ils vont d’habitude. Ca ne va pas durer et on ne les reverra plus, je pense, mais ça montre que le rapport à la pharmacie a changé un peu.

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