Gannat : la Gauche divisée
A Gannat, commune du sud de l’Allier, la maire sortante, Véronique Pouzadoux, se représente. Face à elle: deux listes de Gauche qui ne se pas parvenues à s’unir. L’une est portée par la section locale du Parti socialiste, mais comprend de nombreux colistiers non-encartés, ainsi que des gens issus du PCF ou des Verts. L’autre est portée par la France insoumise et Europe-Ecologie-Les-Verts, et comprend, elle aussi, des non-encartés et un militant PCF.
Si la liste de Madame Jeudi, candidate socialiste, n’affiche pas son étiquette PS par crainte d’un rejet des électeurs, M. Prévautat, son colistier l’affirme : il s’agit bien d’une liste « social-démocrate, écologiste et citoyenne ». Cette liste, intitulée « J’aime Gannat », s’inscrit ouvertement dans la succession de Louis Huguet, l’ancien maire socialiste de 1983 à 2014, à qui la ville doit son cinéma d’Art et d’essai, sa médiathèque, sa maison de retraite, son école de musique, ainsi qu’un appui certain au festival des Cultures du Monde. La démarche est claire : le mandat de Mme Pouzadoux est considéré comme un accroc, une triste parenthèse qu’il s’agit maintenant de refermer, pour revenir à ce qu’était Gannat avant la victoire de la droite et de reprendre les choses là où elles en étaient. Les colistiers de Mme Jeudi, qui poursuivent le travail menée par l’opposition de Gauche durant ces six ans (qui informait les Gannatois par une lettre détaillée, des détails de la politique municipale) ne sont pas tendres avec la majorité sortante, pointant son autoritarisme, ses dépenses inconsidérées, sa politique d’externalisation des services publics et son abandon des intérêts des habitants, au service d’une communauté de commune dont l’intérêt n’est pas flagrant qui semble noyer Gannat dans un grand flou qui ne répond guère les intérêts de la population.
On peut cependant critiquer l’angle d’attaque et le positionnement de cette liste qui s’affiche moins en liste de Gauche avec un projet de Gauche, qu’en bonne gestionnaire se reposant sur les acquis (certes importants) du huguettisme. Plutôt que « Face au projet néfaste de la droite, nous proposons un projet de Gauche pour transformer radicalement notre ville », on dit ici aux Gannatois « Nous avons fait du bon travail dans le passé, la droite fait n’importe quoi, votez pour nous et vous verrez notre efficacité ». S’il est naturel de revendiquer les avancées sociales – et, ici, culturelles – de la Gauche, dans un contexte où la droite et l’extrême-droite dominent le pays, on ne peut que regretter cette logique mi-nostalgique mi-gestionnaire qui n’aide guère à la mise en avant de la Gauche au niveau national. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : faire croire que les élections municipales seraient coupées du niveau national, avec une dimension localiste-apolitique, c’est participer à la dépolitisation qui profite à la droite.
L’autre liste, portée par Hubert Montjol se revendique clairement de Gauche et entend « renverser la vapeur à Gannat, à travers « quatre transitions : économique, culturelle, écologique et solidaire ». La démarche « citoyenne » emprunte pour beaucoup à la rhétorique insoumise du « populisme de gauche ». D’ailleurs, Hubert Montjol et Dany Rodiguez, un des colistiers, assument le populisme de leur formation politique en affirmant que « pour les gens, la gauche, ça ne veut plus rien dire ». Toutefois, si on note la mise en avant du « RIC » tant vanté par les « gilets jaunes », il n’est pas ici question d’aller à un populisme complet et l’attachement, au moins sentimental, à la Gauche demeure. En revanche, la démarche se veut clairement nouvelle, et il n’est pas question de revendiquer, même indirectement, les avancées de la Gauche pré-pouzadiste : le passé n’existe, pour ainsi dire, pas. EELV (qui finance la campagne et dont sont issus une partie des colistiers) n’hésite pas à s’en prendre aux « 30 ans de Gauche molle », assimilée aux 20 ans de droite dure.
Budget participatif et conseils de quartiers sont notamment avancés pour démocratiser le fonctionnement de la ville. Sur le plan économique et « solidaire », on retrouve l’orientation altermondialiste des deux organisations qui portent cette liste, avec la mise en avant de l’ « économie sociale et solidaire ». La coloration générale de la liste en est teintée d’une forme de néo-proudhonisme, avec la mise en avant du localisme, d’un petit capitalisme qui serait plus sain que le gros. C’est l’éternel problème de la Gauche aux municipales : comment défendre des produits de meilleure qualité pour la population, sans tomber dans la mise en valeur idéaliste du petit capitalisme, quand bien même il serait alternatif, solidaire, etc. ? Plus généralement, la liste de M. Montjol se distingue de celle de Mme Jeudi sur la question du rapport à la Nature. Tandis que pour la liste socialiste le verdissement proposé apparaît comme répondant à une logique visuelle, de carte postale, d’embellissement de la ville, il y a chez leurs concurrents altermondialistes une réelle volonté de mettre en avant la Nature, dont la valeur est reconnue en tant que telle.
Un point crucial illustre cette différence : la question de l’abattage des arbres du Champ de foire (une des places principales de la ville, entourée de platanes et voyant se déployer le chapiteau du festival en été, entre autres). La droite a en effet pris la décision de restructurer la place. Pour résumer : décision autoritaire, gestion amatrice, abattage inutile de 23 érables en bonne santé et abritant différents oiseaux, remplacement de la terre et de l’herbe par du sable et des graviers, destruction des toilettes publiques (en bon état) et du local des boulistes, construction d’une grande halle en béton sur le terrain de boule, le tout pour un total de 3 millions d’euros (pris en charge à 40% directement par la commune). Lorsque nous avons abordé le sujet avec les deux listes, leur point de vue différent s’est manifesté clairement :
Pour M. Prévautat, c’est la vision gestionnaire qui domine : « Ca ne rime à rien. C’est peut-être joli, mais ça ne méritait pas une telle dépense ! C’est du grand n’importe quoi ! Comme d’habitude avec la droite : elle a décidé ça toute seule et a fait n’importe quoi. Résultat : un projet qui divise, et qui aura des conséquences sur la commune ».
Pour M. Montjol, en revanche, on trouve une réaction plus « naturelle » : « C’est incroyable.. Non seulement son projet ne le justifiait pas, mais c’est la biodiversité qui est attaquée… Et on rajoute du béton… Alors qu’avec le réchauffement climatique, on a plus que jamais besoin des arbres ! Et puis, faire venir les gendarmes… »
Ce dernier point rejoint l’accusation d’autoritarisme faite par les socialistes. En effet, alors que des citoyens étaient mobilisés contre ce projet (une pétition a recueilli plus de 5 000 signatures), Mme Pouzadoux a fait intervenir la gendarmerie, armée, pour empêcher que ne soit perturbé l’abattage des arbres. On le voit, les méthodes de la droite et ses décisions auraient pu mener à une large union en opposition. La Gauche a perdu là une belle occasion de se rassembler autour d’un point important pour les Gannatois.
D’autres sujets auraient pu structurer une union de la Gauche : l’installation en ville de McDonald’s, dont les travaux d’installation ont été financés par la municipalité, la privatisation (ou « externalisation ») du nettoyage, la gestion chaotique du cinéma (dont les employés se succèdent régulièrement), la fermeture du guichet de la gare (alors qu’on parle même maintenant de fermer la partie Gannat-Montluçon de la ligne Montluçon-Clermont-Ferrand) ou… l’élevage de chiens de la société Harlan.
En effet, et c’est un regret très révélateur : aucune des deux listes ne se positionne par rapport à cette question. A Gannat, existe un élevage de chiens beagle, vendus à la découpe pour l’industrie pharmaceutique, ou sur qui on fait passer des test. Cette industrie de la mort a déjà donné lieu à des manifestations de grande ampleur pour une petite ville comme Gannat. Si, individuellement, on compte des opposants historiques sur la liste de M. Montjol (comme Michel Durant, figure locale des Verts, et également militant principal contre l’abattage des arbres), le fait que cette question ait été mise de côté et bien dommage car si la Gauche ne le fait pas, personne ne le fera.
Concernant les élections municipales, il ne reste plus qu’à espérer que la droite ne gagne pas dès le premier tour, comme en 2014, et que les deux listes sauront s’unir (ou appeler à voter pour la mieux placée des deux) au second tour. C’est, dans l’immédiat, le meilleur scénario, pour tenter de mettre un frein à la droite. L’Auvergne est pourrie par ces villes qui, gérées par la droite (et parfois même par une Gauche oublie ses valeurs), sombrent dans une passivité apolitique de la population, un culte du conservatisme version « terroir ». Il est grand temps que les masses auvergnates reprennent leur vie en main !