Les églises « républicaines »
Dans de nombreux départements du pays, apparaissent à qui sait observer quelques incongruités architecturales sur les églises de certains bourgs, villes ou villages : à côté du monogramme IHS, des croix et des statues de la vierge, voici que des références à la République ou au déisme des jacobins sont inscrits dans la pierre. En Auvergne, c’est le cas de de Notre-Dame-de-l’Assomption, à Clermont-Ferrand, mais aussi des églises de Domérat ou Pierrefitte-sur-loire, dans l’Allier.
Dans la capitale auvergnate, une étrange inscription apparaît au fronton du portail nord : « LE PEUPLE FRANÇAIS RECONNOIT L’ÊTRE SUPRÊME ET L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME ». Si sa dimension mystique et sa référence à l’immortalité de l’âme ne tranche pas vraiment avec la foi catholique qui imprègne les nobles murs du majestueux édifice gothique, l’évocation du peuple français intrigue et la mention de ce mystérieux « être suprême » frappe. Où diable est donc passée la Sainte Trinité dont les évêques et curés nous rebattent les oreilles depuis des siècles ?
C’est d’évidence une manifestation de la difficile relation engagée à la Révolution française entre la bourgeoisie qui s’affirmait et l’Eglise catholique. En effet, la bourgeoisie française s’affirmant contre le féodalisme et le catholicisme n’était pas allée jusqu’au protestantisme et, si elle fondait sa démarche sur les idées des Lumières, n’entendait pas porter l’athéisme de Diderot. Elle avait donc trouvé refuge dans le déisme. Une fois la monarchie et l’Eglise renversées, c’est ce déisme qu’on retrouve dans ce « culte de l’être suprême », porté par les Jacobins, et notamment Robespierre.
Cette vision d’un Dieu conçu comme architecte d’un monde dont il laisserait la gestion aux Hommes avait également pour but de proposer un nouveau culte à la population. Un culte civique destiné à rassembler la nation, à établir un ordre républicain. A Clermont-Ferrand, cette conception déiste a donc été inscrite dans la pierre, marquant ainsi une réelle volonté de mater l’Église catholique et d’intégrer la religion dans le cadre républicain.
Car c’est bien là la vision de la bourgeoisie qu’on retrouve dans le principe de laïcité. Ce n’est pas une opposition franche à la religion, mais un compromis « républicain » avec elles. On s’accommode bien du clergé, de l’irrationalisme religieux, du mysticisme, tant que la religion n’entend pas dominer la société. Selon qui la formule, la laïcité peut privilégier le relativisme libéral (chacun croit bien ce qu’il veut et toutes les religions doivent être tolérées sans jugement de valeur) ou l’aspect « républicain » privilégiant l’ordre social et l’unité nationale.
On retrouve ainsi cette volonté de mater le catholicisme et de le faire entrer de gré ou de force dans l’ordre républicain sur les murs des églises de Domérat et de Pierrefitte-sur-Loire. En effet, l’on y a inscrit « Liberté Egalité Fraternité » ou plus simplement « RF » (pour « République française », évidemment). Evidemment, ces églises, toutes républicaines qu’elles soient, n’en demeurent pas moins catholiques.
Egaré dans une forêt immense pendant la nuit, je n’ai qu’une lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit : mon ami, souffle ta bougie pour mieux trouver ton chemin. Cet inconnu est un théologien.
Denis Diderot