Législatives : entre vide et danger

Ainsi donc, la France vote à la fin de la semaine et la semaine prochaine. C’est bien le seul acte politique qu’elle soit encore en mesure de produire, et encore de manière relative puisque l’abstention est toujours importante et que le choix se fait via un marché électoral, où on choisit un candidat comme on choisirait le meilleur paquet de lessive. L’apathie et la beauferie règnent dans le pays. Le succès de l’extrême-droite en est l’illustration la plus vive, le fascisme s’accompagnant avant tout d’un assèchement de la démocratie et d’une passivité apolitique des masses face au pouvoir et au mode de production capitaliste.

La France consommatrice, décadente et égoïste se décompose avec la crise et se tourne vers la nostalgie ou la fuite en avant sordide. C’est bien la nostalgie des « trente glorieuses », de la France capitaliste qui va bien, qui préside aux choix des électeurs du RN et son poujadisme identitaire, et son « c’était mieux avant », aux macronistes qui rêvent d’une France capitaliste influente qu’ils veulent relancer par un libéralisme débridé, et aux partisans de cette fausse gauche qui promet de revenir sur les réformes libérales, et rebâtir un capitalisme à prétention sociale et cogestionnaire.

Tous participent, à leur manière, à la fuite en avant dans la décadence du capitalisme occidental. Le culte anti-universaliste d’identités réactionnaires, nationales, ethniques ou « de genre » selon les cas, l’anticommunisme fanatique, le racisme et le paternalisme d’un côté et l’antisémitisme comme « socialisme des imbéciles » de l’autre, la sanctification de l’individu consommateur, la volonté de relancer d’une manière ou d’une autre le capitalisme français, le populisme électoraliste et la beauferie, et enfin (et surtout) l’alignement total sur le militarisme ambiant et la participation menée par notre suzerain étasunien contre le bloc sino-russe (tout aussi réactionnaire évidemment).

De Bardella l’ami des gudards à Mélenchon le Doriot de foire, de Glucksmann l’ami des criminels pro-US au catho bourgeois Retailleau, tous s’entendent sur un point essentiel : il faut participer à cette guerre de soutien au régime ukrainien, pro-nazi et déjà colonisé économiquement par les grands groupes capitalistes occidentaux, pour abattre et dépecer le concurrent russe, dans l’espoir que le capitalisme français récupère quelques miettes et se relance. Et tant pis si quelques milliers d’Ukrainiens meurent, si c’est pour la gloire des puissances de l’Ouest.

On nous objectera que le Rassemblement National de Marine Le Pen était initialement pro-russe, et proposait de relancer le capitalisme français de manière agressive en faisant alliance avec le fascisme poutinien. De la même manière, la France insoumise, dans son antiaméricanisme caricatural, manifestait sa volonté de s’allier elle aussi au bloc dirigé par la dictature chinoise et la Russie. C’est vrai, ils avaient ce néo-gaullisme (national-populisme anti-américain) en commun. Depuis le début de la guerre, toutefois, ils se sont alignés sur la ligne pro-guerre. Bardella veut une économie de guerre pour soutenir l’Ukraine, une participation claire à l’OTAN et à l’UE et formule aujourd’hui un atlantisme poujadiste et identitaire en rupture avec la ligne lepéniste des années précédentes. La France insoumise, dont on connaît le soutien aux ventes de rafales, fait un peu de cinéma bruyant (notamment via la Palestine, de manière ultra-clientéliste, antisémite et coupée des réalités), mais accompagne foncièrement la démarche militariste générale. Ne parlons même pas du PCF qui dénonce les armes tout en proposant d’en livrer.

C’est le même schéma qui s’installe partout dans le monde occidental, avec toutefois des différences selon les pays : on se retrouve avec deux blocs capitalistes/militaristes, mais l’un qui joue la carte de la nostalgie et du repli identitaire, et l’autre qui joue la carte du post-modernisme et du cosmopolitisme. Les premiers veulent que bobonne soit à la cuisine avec ses nombreux gosses, tandis que les seconds disent aux jeunes femmes (ou aux homosexuels) qui ne se conforment pas au patriarcat qu’elles sont prisonnières de leur corps et devraient plutôt le rejeter et le mutiler au besoin.

En somme, nous avons les Democrats (de Macron/Biden à Mélenchon en mauvaise caricature de Sanders, ou plutôt du reste de l’aile « gauche » du Parti démocrate, woke et antisémite, ce que Bernie Sanders n’est pas) et les Republicans (autour du RN et de ses récents alliés ciottistes), comme les Italiens sont passés progressivement de la Lega nationale-populiste/identitaire/pro-russe aux Fratelli d’Italia libéraux-conservateurs/identitaires/atlantistes, et d’un Parti communiste fort au Parti démocrate social-libéral et euro-atlantiste.

On serait tenté de dire, comme beaucoup d’américains « different animals, same shit » et, tendanciellement, c’est en tenant cette ligne de rupture que la Gauche pourra se reconstruire. Une Gauche populaire contre le bipartisme (ou tripartisme affaibli) militaro-capitaliste. Néanmoins, affirmer cette ligne essentielle ne doit pas non plus être trop unilatérale et sombrer dans un « tous pourris » apolitique et faussement rebelle.

S’il est évident qu’on ne saurait aucunement soutenir ce « Front populaire » insupportablement bobo, anti-populaire, et démagogique qui surjoue la carte de la menace fasciste alors qu’il fait tout pour que le RN l’emporte, tout ne se vaut pas et, outre qu’on peut vaguement préférer une semi-gauche très molle à une droite très agressive, on sait également que le RN, même dédiabolisé, aseptisé, charrie dans son sillage des groupuscules fascistes violents, et permettra d’instaurer un climat propice aux agressions homophobes, racistes, etc. A ce sujet, il ne faudrait pas non plus exonérer la France insoumise de sa responsabilité majeure dans l’entretien d’un climat antisémite dans ce pays, qui continue à faire des victimes. Que ce parti fasciste soit encore considéré comme de gauche en dit long sur l’état de délabrement politique de notre pays.

Par ailleurs, si l’élection législative est une élection nationale, on ne saurait nier qu’elle répond à des logiques locales qu’on ne peut totalement rayer d’un trait de plume. Au-delà de leur engagement regrettable dans des partis minables et dans ce front populiste, c’est aussi comme figures locales que les candidats issus de ce qui se dit encore de gauche doivent être considérés, notamment face à d’autres figures locales de droite qu’il serait utile de faire tomber.

Alors, que faire ? Une chose est certaine : nous n’apportons aucun soutien à la démarche du « Nouveau front populaire », qui aurait mieux fait de s’appeler Affront populiste. Il faut voir les choses au cas par cas, si on veut à tout prix voter.

S’il nous paraît naturel de soutenir, même de manière critique, la réélection des députés PCF Yannick Monnet (circonscription de Moulins) et André Chassaigne (circonscription de Thiers-Ambert), les choses sont moins évidentes pour les autres.

S’agissant du Parti socialiste, la sortante Christine Pirès-Beaune (circonscription de Riom) et les candidats Aline Jeudi (circonscription de Vichy-Gannat), Valérie Rueda (circonscription d’Aurillac) et André Chapaveire (circonscription de la Chaise-Dieu) apparaissent comme des votes logiques, si on se place dans une logique locale de préservation d’une vague tradition de gauche et d’obstacle à la vague ultra-réactionnaire, mais c’est au mieux un vote de centre-gauche, pour des candidats qui ont soutenu la candidature de Raphaël Glucksmann, le va-t-en-guerre ex-négociant en armes pour un autocrate corrompu.

Idem pour Celline Gacon, candidate EELV, donc alignée sur la ligne détestable de son parti. Toutefois, on peut se dire que face à Laurent Wauquiez et au RN, c’est toujours ça. Elle fait campagne sur les services publics et les salaires. C’est gentillet mais pas un mot sur la guerre (hormis, on l’imagine, pour dire qu’il faut la poursuivre et livrer encore plus d’armes). Passons sur la circonscription de Royat, où face à la droite libérale, c’est le centre-gauche libéral finalement si proche qui représente le NFP.

Enfin, dans les circonscriptions où le NFP est représenté par LFI, il est certain que voter pour ce parti serait une forfaiture. « Même à Montluçon face au député RN sortant ? » nous dira-t-on. A cela nous répondons simplement que, dans la circonscription où est né le socialisme bourbonnais, si le NFP n’a rien d’autre à présenter qu’une petite-bourgeoise issue d’un parti antisémite pour battre un député RN sortant qui est issu du prolétariat, il peut se faire tout petit.

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de vote enthousiaste possible et que même une improbable victoire du NFP ne représenterait rien de positif. Au mieux un frein minuscule à la conquête désormais quasi-certaine de l’Etat par les héritiers de la Division SS Charlemagne, au pire un nouvel avilissement des restes de la gauche, assimilée désormais à des bobo militaristes et à des post-modernes antisémites.

On peut voter pour le PCF, éventuellement pour des candidats PS ou EELV dont on connaît localement la valeur et les principes, mais il ne faut pas se leurrer, cela ne représente rien face au combat qu’il faut mener pour purger la Gauche de ses assassins dont on ne regrettera pas que certains disparaissent du paysage politique au cours de cette crise.

Il faut affirmer dès maintenant la seule ligne de Gauche possible. La Gauche opposée au bipartisme Democrats/Republicans, à la Guerre et au fascisme (dont on rappelle qu’il est un mouvement, pas juste un parti, et que LFI comme le RN y participent tout autant l’un que l’autre).