Face à la crise de régime : socialisme ou barbarie
La révolution advient, disait Lénine, lorsque la classe dominante ne peut plus diriger le pays et que la classe dominée prend conscience de la nécessité de la révolution et de l’engagement total pour celle-ci.
Aujourd’hui, la condition politique objective est quasiment atteinte, dans une France au bord de la crise de régime. En revanche, la condition subjective est pour l’instant lointaine, puisque dominent le ressentiment boudeur et l’apathie aigre. Ainsi, une impression de naufrage général règne dans le pays : l’Etat capitaliste français sombre et les masses populaires coulent avec lui.
La CGT cogestionnaire et anti-idéologique peut bien crier victoire à chaque échec qui aura réussi à amasser suffisamment de monde pour qu’on en parle dix minutes au 20h, le Nouvel Affront Populiste peut bien se rêver au pouvoir porté par une mobilisation populaire qui n’existe que dans sa tête, les héritiers mélenchoniens du doriotisme (ou, au fond, de l’hitléro-trotskisme, pour reprendre la formule consacrée) peuvent bien s’imaginer – comme leurs ancêtres lambertistes en 1981 – qu’une vague révolutionnaire serait sur le point de déferler sur le pays et sur le monde, il faut bien voir les choses comme elles sont : il ne se passe rien, du côté des masses. Certes, elles sont mécontentes, et elles ont bien raison, mais elles ne sont pas organisées, n’ont pas de revendications politiques structurées et, surtout, elles ne veulent pas le pouvoir.
Les dernières élections l’ont montré : les masses et en premier lieu la classe ouvrière s’abstiennent ou votent massivement pour le Rassemblement national. Pire encore : leur vote massif pour le RN se transforme en défaite de celui-ci, à la faveur d’un mode de scrutin qui permet au NFP petit-bourgeois voire carrément bourgeois d’arriver en tête à l’Assemblée, alors qu’il est troisième dans les urnes.
On pourrait résumer la situation ainsi :
- le capitalisme connaît, dans le monde, une crise générale, qui accroît dans chaque pays les monopoles qui y dominent et se font plus agressifs et puissants
- cette situation renforce la division du monde entre le bloc composé des Etats-Unis et de ses vassaux, d’un côté, et de celui composé de la Chine et de la Russie (elle-même toujours plus vassale de la Chine) et leurs vassaux
- l’Etat français, membre du premier bloc, est en perte de vitesse et sa bourgeoisie cherche à se relancer par tous les moyens
- en 2017, avant la crise Covid qui a fait éclater la crise générale du capitalisme proprement dite, Emmanuel Macron proposait la relance du capitalisme français par le libéralisme débridé dans le cadre du bloc euro-atlantique, tandis que Marine Le Pen (comme Jean-Luc Mélenchon dans une variante altermondialiste « de gauche ») proposait la relance du capitalisme tricolore via une rupture avec ce bloc et une alliance de revers avec l’impérialisme russe
- la crise a douché les espoirs de tout ce beau monde : Macron a perdu sa majorité et n’est plus que le gérant d’un protectorat étasunien fonçant vers la guerre contre la Russie puis la Chine, pour maintenir la domination de ce bloc sur le monde, le Rassemblement national a renoncé à l’alliance avec la Russie, et accepte la guerre, l’OTAN, l’UE (tout comme, en Italie, la Lega fasciste pro-russe a laissé la place à Fratelli d’Italia, de droite dure atlantiste). Democrats vs. Republicans, en somme.
- Le camp encore vaguement dominant, autour de Macron, représente la bourgeoisie qui veut pressurer le peuple pour mettre le pays en ordre de marche pour la guerre, dont elle espère tirer quelques miettes pour se relancer. Le NFP s’inscrit dans cette même logique : il représente surtout ceux qui sont bien installés mais paniquent, soutient totalement la guerre (PS en tête, avec son ami Glucksmann le néoconservateur qui a du sang sur les mains, mais EELV est aussi fanatiquement belliciste), défend la fuite en avant consommatrice (GPA, drogues, transactivisme, prostitution), avec un enrobage romantique et clientéliste, mi-catho mi-gauchiste (misérabilisme, paternalisme, racialisme, antisémitisme) pour avoir l’air de critiquer l’ordre dominant.
- Face à ces représentants de la fuite en avant, le Rassemblement national apparaît comme la principale force de contestation, et représente la « fuite en arrière » aux yeux de ceux qui voudraient revenir à la France prospère des 30 glorieuses. Une contestation démagogique et factice qui, au pouvoir, aurait tôt fait d’apparaître aux yeux des masses comme une arnaque anti-populaire, tout aussi guerrière, liée aux grands monopoles.
- Les masses sont partagées entre une attitude résignée et un ressentiment aigre qui les pousse dans les bras xénophobes du RN, tandis que le réflexe conservateur (voire réactionnaire) est alimenté par une post-gauche qui encense les délinquants (dealers, chauffards qui font du rodéo), parfois même les terroristes (cf. LFI et les organisations ayant participé au pogrom du 7 octobre 2023), méprise les ouvriers tout en essayant de les racoler, et fait la promotion de comportements anti-sociaux.
Où tout cela va-t-il nous mener ? Quelle ligne doivent suivre ceux qui se réclament de la Gauche authentique ?
Revenons à nos deux conditions pour la révolution socialiste :
- la classe dominante qui ne peut plus diriger le pays de manière stable
- la classe dominée qui a conscience de la nécessité de la révolution
Dans l’immédiat, la seconde est absente tandis que la première condition est là… mais si la seconde fait défaut, la première disparaîtra aussi et la bourgeoisie trouvera une moyen de se relancer par la force. La tâche immédiate de la gauche est ainsi de faire obstacle à une relance de l’Etat capitaliste, tout en travaillant sur le plus long terme à réveiller la conscience populaire, ce qui implique d’y voir clair, idéologiquement.
La bourgeoisie veut relancer le pays par la guerre, aussi il est impératif que la Gauche s’oppose à celle-ci par tous les moyens. Dans l’éventualité d’une victoire du Rassemblement national ou en tout cas de ce qu’il représente, il est à craindre que son inscription dernière dans la logique atlantiste-guerrière-libérale suscite la colère des masses le soutenant et que celle-ci s’oriente par dépit vers une ligne plus nationale-socialiste (à la faveur, d’ailleurs, du travail préparatoire des antisémites de LFI), s’il ne se trouve pas de Gauche pour les guider.
Ainsi, les tâches de la Gauche sont les suivantes :
- se doter à nouveau d’un socle idéologique rigoureux dans l’analyse et solide sur les principes, avec des cadres politiques au niveau des exigences de l’Histoire
- œuvrer à l’unité et à l’organisation de la classe ouvrière, sur la base d’une autonomie de classe, en rupture avec les opportunistes de gauche ou de droite qui a essayé de l’enrôler
- porter une rupture avant la fuite en avant identitaire-consommatrice et la fuite en arrière beauf-réactionnaire, avec les monopoles et l’Etat qui poussent à la guerre, avec le mode de production capitaliste en général
Toute autre option nous mènerait au fascisme et à la guerre mondiale.
Aujourd’hui plus que jamais, l’alternative est claire : socialisme ou retombée dans la barbarie.