André Chassaigne rend hommage à Jacques Chirac
André Chassaigne est une figure importante. Une figure importante de la Gauche, tout d’abord, puisqu’il est le président du groupe parlementaire de la Gauche démocrate et républicaine, regroupant principalement les élus du PCF. Une figure importante du PCF, puisque lors du dernier congrès de ce parti, c’est la liste qu’il conduisait qui est arrivée en tête, entraînant le remplacement de Pierre Laurent par Fabien Roussel. André Chassaigne avait d’ailleurs été candidat à la présidentielle, en 2012, avant que les militants de son parti ne préfèrent désigner Jean-Luc Mélenchon pour les représenter. Une figure importante, enfin, de l’Auvergne, puisqu’il a été maire de St-Amant-Roche-Savine, mais surtout qu’il est, depuis plus de dix-sept ans, député de la cinquième circonscription du Puy-de-Dôme, dite de Thiers-Ambert, solidement ancrée à Gauche, où il est réélu avec des scores importants. Le grand « Dédé », ainsi qu’il est généralement surnommé, est une figure reconnue et appréciée dans notre région.
Ainsi donc, lorsqu’il s’exprime, ses propos ne sont pas dénués de toute influence. On ne peut donc laisser passer son hommage au défunt président Jacques Chirac, rapporté par notre quotidien régional La Montagne. En effet, André Chassaigne y enchaîne les âneries, ce qui est d’autant plus grave qu’on sait le personnage sincère.
Cette déclaration, qui s’inscrit dans les hommages « républicains » rendus à l’ancien président par les cadres de son parti (Fabien Roussel ou Ian Brossat), ne décèlent en effet aucune trace d’un positionnement de Gauche, ni aucune remise en cause des valeurs dominantes.
André Chassaigne salue, pour commencer, le refus de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin d’engager la France dans la guerre en Irak. Il est vrai que beaucoup, à Gauche, y voient une forme de pacifisme. C’est cependant d’une naïveté extrême, dans la mesure où les néo-gaullistes entendaient ici réaffirmer la puissance française en s’opposant avec « panache » au concurrent étasunien, tout en ménageant les liens avec les pays arabes où de nombreux dictateurs avaient des relations avec la France, voire étaient à son service indirect. Toutefois, notre sympathique député auvergnat ne salue pas tant la paix que la « France fière, écoutée, et respectée » dans le monde entier. Plutôt que « vive la paix », on entend résonner « vive la puissance française », ce qui reflète bien plus un chauvinisme déplacé pour quelqu’un qui se veut communiste. C’est, presque mot pour mot, les mêmes propos que ceux tenus par François Asselineau, par exemple.
Il évoque également la « voix singulière » que la France de Chirac aurait portée dans le « conflit israélo-palestinien ». On croit rêver. Jacques Chirac ne fit, dans ce domaine, qu’un peu de cinéma qui, au fond, n’a rien changé à la situation, mais qui a permis de faire passer, comme d’habitude, l’opposition aux Etats-Unis (et leur allié israélien) pour une politique « pro-arabe » (en réalité de défense de l’influence française dans ces pays), à coup de « panache français ». André Chassaigne montre ici, outre une naïveté de grande ampleur, à quel point le PCF est aujourd’hui déconnecté de toute critique de l’Etat français, et de son influence internationale. Critiquer Israël suffit. La cause palestinienne, chère au PCF, est devenue un symbole fort, mais derrière lequel il n’y a plus de contenu politique. L’important est ici que la France se soit faite entendre.
André Chassaigne évoque indirectement le célèbre épisode de notre « maison [qui] brûle [tandis que] nous regardons ailleurs ». Certes, la formule du défunt président ne manquait pas de dignité et de « panache », mais comment un homme de Gauche peut-il ajouter foi à l’idée que Jacques Chirac ait pu être un président écologiste, ayant participé à lutter contre le réchauffement climatique ? On voit bien là la ligne du PCF de ces dernières décennies, qui n’a jamais pris l’écologie au sérieux.
Enfin, le président du groupe PCF à l’assemblée nationale salue « l’engagement de toute une vie [de Chirac] pour nos campagnes et la défense du monde paysan ». Oubliée, la FNSEA. Pas un mot pour condamner l’idéologie du « terroir » mise en avant par Chirac et l’ensemble de la droite (avec la « femme corrézienne » qui doit se taire et servir les hommes). André Chassaigne confirme donc avoir la même vision de la « ruralité » que la droite. Comment être crédible lorsqu’on parle ensuite de dépasser le capitalisme et de construire une nouvelle société ?
D’accord avec lui sur la politique étrangère. D’accord avec lui sur sa vision de la France et du terroir. On voit bien qu’André Chassaigne ne considérait Jacques Chirac comme un adversaire que sur le plan purement économique, comme le ferait un cadre syndical, mais pas un homme politique de Gauche conséquent. Le PCF (car la question ne se limite pas à notre député auvergnat) montre ici son échec à affronter la droite : à toujours limiter le combat politique à la lutte syndicale, le combat culturel contre la droite a été mis de côté, voire totalement abandonné.
Il est impératif que la Gauche se ressaisisse et ose affronter les valeurs de la droite, néo-gaulliste en l’occurrence. Non, on ne peut pas être de Gauche et soutenir le développement agressif de la puissance française à l’étranger, simplement parce qu’elle s’oppose à la puissance américaine. Non, on ne peut pas être de Gauche et défendre la « ruralité » telle qu’elle existe, ni en fantasmant la campagne « d’autrefois » comme les réactionnaires. Non, on ne peut pas être de Gauche s’imaginer que la droite peut être pacifiste et écologiste. Tant que la Gauche restera prisonnière de cette soumission aux valeurs dominantes, aux valeurs de la droite, il ne faudra pas s’étonner de la domination de cette dernière qui, de surcroît, est de plus en plus agressive.
Voici le texte d’André Chassaigne :
« J’ai appris avec tristesse le décès du Président Jacques Chirac. Certes un adversaire politique, mais un adversaire pour lequel j’avais le plus grand respect. En ce jour de deuil, je garde plus particulièrement le souvenir du Président de la République qui a su dire non, par la voix de son ministre des affaires étrangères, à la guerre en Irak. Le souvenir aussi de celui qui a permis à la France de porter une voix singulière dans le conflit israélo-palestinien. Depuis l’arène onusienne, il y a près de vingt ans, il alertait également, avec des mots forts, sur le réchauffement climatique qui est aujourd’hui la pire menace qui pèse sur l’humanité. Aujourd’hui, je rends hommage à un Président de la République qui incarnait sur la scène diplomatique une France fière, écoutée et respectée. L’élu rural que je suis salue aussi son engagement de toute une vie pour nos campagnes et la défense du monde paysan ».