Mobilisations du 18 septembre : la quantité appelle la qualité et inversement
En cette rentrée de septembre 2025, la situation de la France ne s’améliore évidemment pas et le mécontentement s’accumule. François Bayrou, premier ministre anti-social minoritaire (comme les précédents), s’est sabordé le 8 septembre, en affrontant à l’assemblée la censure de l’opposition NFP et RN, sur ses projets d’austérité. Sébastien Lecornu, ancien filloniste et ministre des armées depuis 2022, lui succède et doit encore former un gouvernement à l’heure où nous écrivons.
Le 10 septembre, soit deux jours après la chute du gouvernement, un premier mouvement de protestation a eu lieu dans le pays. Sans être anecdotique, il n’a guère décollé, les revendications étaient éparses et floues, marquées par un style « gilet jaune » certain, et une grande partie des masses s’en désintéressant, voire rejetant le mouvement par rejet de certains de ses promoteurs, la France insoumise notamment. Le gouvernement a d’ailleurs tout fait pour qu’on comprenne bien que c’était un cinéma insoumis qui se préparait, histoire de décourager les gens en amont.
Aujourd’hui, 18 septembre, une mobilisation plus classique a eu lieu, à l’appel des syndicats. Les autorités, qui en attendaient jusqu’à 900 000, parlent de 500 000 manifestants dans le pays, tandis que les syndicats parlent d’un million. Au-delà de l’éternelle bataille des chiffres, on peut y voir un certain succès, qu’on ne peut qu’appeler à amplifier. De la même manière, le fait que le ministre de l’intérieur ait donné la consigne aux forces de l’ordre de protéger les bâtiments « susceptibles d’incarner le capitalisme », et ait mobilisé sérieusement les moyens répressifs de l’Etat donne une idée de la fébrilité et de la tension qui règne dans la France capitaliste d’aujourd’hui.
Pour autant, la quantité ne fait pas la qualité et si cette dernière manque, la première s’effritera d’elle-même. Or, il faut bien admettre que la qualité n’a guère décollé. Les syndicats plus combattifs veulent « faire pression » sur le gouvernement, les plus engagés dans la collaboration de classe veulent « peser sur les négociations ». Les gilets jaunes et leurs héritiers croient en la salvatrice destitution de Macron et réclament leur « RIC » philosophiquement populiste et peu porteur de démocratie comme projet collectif conscient.
On a pu constater le travail néfaste des membres du NFP, cette alliance d’opportunistes de la post-gauche et de l’anti-gauche : Mélenchon, après avoir surmobilisé ses troupes appelle à la discipline et au calme (il est de fait à mi-chemin entre le provocateur nihiliste et le casseur de grève au service du patronat), le PS (qui rêvait encore la semaine dernière d’aller à Matignon) appelait à se mobiliser sans nécessairement bloquer les entreprises ou gêner les institutions, et les autres sont en boucle sur la fameuse « Taxe Zucman » sur les « ultra-riches », c’est-à-dire sur un projet qui consiste à maintenir le capitalisme tout en en tirant des miettes sociales. Enfin, la sphère pro-palestinienne, ou qui se proclame telle, fait du forcing pour tout ramener à ce sujet qu’elle exploite de manière éhontée et souvent très perméable à l’antisémitisme. Ainsi, si l’on peut se réjouir le blocage des activités de Thalès et Eurolinks, qui fournissent de l’armement à l’Etat d’Israël et à son gouvernement fasciste et massacreur, on notera que de telles initiatives ne se produisent quasiment pas quand il ne s’agit pas de l’Etat juif. Pourtant, des armes françaises servent à massacrer dans le monde entier depuis toujours.
Tout ceci n’est clairement pas à la hauteur et montre que la gauche sérieuse est quasiment morte dans ce pays, tandis que les masses sont en colère mais désorientées au possible, entre résignation et colère nihiliste. Le Parti communiste français semble garder une conscience de ce qui se passe, et on a vu Fabien Roussel refuser la tendance générale à la guerre, récemment, mais le suivisme cégétiste traditionnel et l’absence d’analyse marxiste rigoureuse limite la portée de cette démarche.
La France évolue dans un contexte précis actuellement. Les tensions sociales se mêlent à l’apathie générale dans un mélange qui paraît contradictoire mais néanmoins reflet bien réel de la crise du mode de production capitaliste en perte de vitesse. Ainsi la bourgeoisie française, divisée en franges concurrentielles, tire dans toutes les directions pour tenter de faire valoir ses intérêts de plus en plus pressés par la crise. Aujourd’hui, même certains partis se revendiquant à gauche font valoir la nécessité de partir en guerre contre la Russie. L’économie en berne du pays pousse à chercher ailleurs la plus-value qu’on ne produit pas ici… Ainsi, seule la marche à la guerre prévaut, et toute décision émanant de l’appareil d’Etat en ce moment sert cet objectif.
C’est la raison de la restructuration économique du pays. Le capitalisme tremble, alors il faut faire passer l’argent public dans l’armée autant que possible, pour se préparer à se battre pour des ressources qui ne nous appartiennent pas. D’ailleurs, le premier ministre Bayrou, centriste, a cédé sa place au profit de Lecornu, ancien ministre des armées : ça donne le ton pour l’avenir. La bourgeoisie est éclatée, le pays est dirigé par un régime illégitime et anti-populaire qui entend bien faire marcher les masses laborieuses au pas, le tout sur fond de décadence morale et civilisationnelle. Les violences routières ne cessent de gagner en gravité, le relativisme rend les gens tolérants envers l’intolérable et intolérants de choses qui devraient être acceptées, les cartels de drogue prennent le pouvoir dans certains quartiers et évoluent sans grande résistance policière, qui manque de moyens, de matériel et de personnel pour gérer la déchéance présente à tous les niveaux de la vie quotidienne…
Alors que faire ? Qui pourrait bien éclaircir un portrait si sombre et aux allures si défaitistes ? Quel dirigeant saurait ramener le bon sens ? Lorsqu’on est de gauche, on sait que c’est une question piège qui se pose trop souvent. La réponse est simple : aucun. Ce qu’il faudrait en réalité, c’est un retour en force du mouvement ouvrier, anti-guerre, de formation marxiste pour être en mesure de comprendre le capitalisme, de comprendre sa marche inexorable vers l’affrontement armé entre nations, et de comprendre qu’aucun individu, seul, ne pourra jamais jouer le rôle du sauveur providentiel. Les masses, organisées et pointues idéologiquement, doivent réaliser que la pratique du pouvoir leur incombe en tant que classe, et qu’envoyer des délégués bourgeois ne sera jamais suffisant.
Alors il faut que ces masses laborieuses, canalisées par leur éducation politique et guidées par leurs éléments les plus avancés, fassent la guerre à la guerre. La guerre à la société de consommation qui les aliène et les pousse à l’idiotie béate, la guerre contre les comportements beaufs, sexistes, racistes… mais aussi à la bien-pensance libérale qui romantise les comportements anti-sociaux pratiqués tant par les grands-bourgeois que par les franges défavorisées de la population tombant dans le crime et la délinquance. La guerre contre les monopoles qui dirigent et rythment leur vie quotidienne et limitent les possibilités et les progrès possibles dans un soucis de rendement permanent et d’extraction de plus-value aggravant toujours plus la paupérisation relative, cet écart de richesse entre bourgeois et prolétaires…
Bref : la guerre au capitalisme, et l’instauration du socialisme comme dépassement de ce vieux mode de production qui a clairement fait son temps et plonge le monde dans le chaos et l’écocide.

