Une pause agréable
Clermont-Ferrand, un matin tout ce qu’il y a de plus banal. Ni vraiment triste ni franchement gaie, l’atmosphère qui plane sur la ville est morne. Sous ces nuages gris et cette bruine, les sombres pierres volcaniques des vieux édifices clermontois apparaissent plus tristes que jamais. Les gens vont au travail, ou y sont déjà, mais sans entrain. Naguère, il neigeait en Auvergne. Une éclatante blancheur recouvrait la ville et la campagne, et s’instaurait un silence paisible, un calme reposant. Aujourd’hui, le climat a changé et les hivers sont gris. Résignés, les Auvergnats prolongent la morosité pluvieuse de l’automne et ne s’émeuvent plus de rien.
Pourtant, à bien y regarder, il y a toujours moyen de trouver du réconfort, même au milieu d’une ville. Au jardin Lecoq, profitant de l’absence inopinée de visiteurs humains, ses petits habitants à plumes et poils vaquent à leurs occupations habituelles, en tout sérénité. Habitués à voir du monde, mais visiblement satisfaits de la faible fréquentation matinale, ils semblent ne pas prêter une grande attention à la présence des quelques rares passants. Et, au lieu de fuir effrayés ou inquiets, ils osent même s’approcher, l’air intrigué.
Ainsi, tandis que les moineaux piaillent furieusement dans les buissons, les merles partent à la chasse aux asticots, qu’ils avalent aussi vite qu’ils les ont extirpés de leur trou. Les pigeons, indolents et tranquilles, patrouillent séparément dans le parc. Aujourd’hui, il n’y aura pas de ruée de groupe sur les miettes jetées par un passant. Chaque oiseau mène sa petite vie sereinement.
En parlant d’oiseaux, les canards s’affairent ce matin-là à montrer volatiles qu’ils peuvent voler, eux aussi. Certes, il ne vont pas bien haut, ceux-ci, et leur vol un peu gauche ne les porte pas très loin, mais ils volent ! On pourrait même croire qu’un concours a été lancé : les canards se succèdent sur le même parcours, au-desssus de leur mare, sous le regard de leurs congénères.
Soudain, un petit cri siffle et un éclair blanc et roux traverse le paysage : de petits écureuils sautent de branche en branche, d’arbre en arbre, pour glaner quelques graines à manger. D’ailleurs, plusieurs coques de noisettes jonchent le sol, marquées d’un coup d’incisives de ces mignons rongeurs. Ces animaux paraissent être constamment sur le qui-vive, sursautant au moindre bruit, changeant de direction en un éclair… C’est vrai qu’ils sont petits, si on les compare aux deux cygnes blancs qui somnolent au pied du même arbre, le bec enfoui dans les plumes.
Marchant d’un pas assuré, un corbeau avance en dandinant vers son objectif : une noix probablement tombée de la poche d’un visiteur du parc. Adressant des « crhâââh » aux humains et pigeons le séparant de la délicieuse graine, il montre qu’il n’est pas de ces passereaux et colombidés qui semblent œuvrer sans plan défini : le corbeau est réfléchi, posé, organisé. Arrivé à la noix, il prend soin de la caler au sol, dans un petit creux, et, la tenant d’une patte, entreprend de donner de grands coups de becs pour en rompre la coquille. Râlant entre chaque vain coup de bec, il finit par abandonner sa proie, visiblement agacé et se lance dans une opération d’inspection d’un des dispositifs lumineux qui longent le chemin. Il regarde avec curiosité, en nettoie la base des herbes mortes par acquis de conscience et part rejoindre un congénère qui l’appelle depuis quelques instants pour lui indiquer un arbre dont les fruits se mangent. Les voilà maintenant qui se partagent cette nourriture finalement bien plus accessible que cette bête noix récalcitrante.
Après cette pause salutaire parmi ces sympathiques concitoyens, on peut reprendre sa route vers la triste vie quotidienne, mais l’état d’esprit a changé. Au milieu de la ville, la nature vient se rappeler tout tranquillement à nous. On prend conscience de l’artificialité de notre société, face à la paisible nature et on se prendrait presque à rêver d’une autre société. Une société où on pourrait faire comme ces corbeaux : flâner au milieu des arbres, partager un en-cas avec ses proches, exercer sa curiosité, travailler avec application…